Cité internationale des arts, Paris
Résidence de création, programme TRAME, printemps 2022
LA GRANDE GOUVERNANTE
(textes non encore revus et corrigés)
Paris. Non pas y retourner, mais y revenir.
Je semble ne jamais avoir abandonné cette perspective du dedans. Du moins en ce sens-là. Paris demeure ma matrice. Depuis que j'ai quitté la France, il y a une quinzaine d'années, Paris est resté ma référence, mon pivot et surtout mon ancrage affectif.
Écrire sur Paris s'est révélé comme évidence. La ville est une machine productrice de procédés, me semble-t-il. Écrire, et donc lire, est une démarche qui s'inscrit et se déroule dans le temps, une mécanique, c'est ausculter le fourmillement, alors que l'image, pour moi, reste statique et surtout, silencieuse. L'image offre une somme, l'écrit des positions.
Paris, c'est la langue, la langue française ; indissociable, l'une de l'autre.
*
Écrites bien à l'avance, ces premières lignes couchées sur ma page virtuelle, des semaines même avant mon arrivée, dans l'attente impatiente de me rendre enfin dans la ville de mes vingt ans, de rentrer, espérais-je, chez moi, je ne pouvais pas m'imaginer, avec tout le réalisme qui me fait considérer le cours du monde, que la donne le jour de mon entrée bienveillante en gare allait avoir changé du tout au tout.
Écrire en temps de guerre, d'une guerre en Europe, comment cela va-t-il être possible ? Je me souviens de ce jour à la rentrée 90, en salle de séminaire de la Sorbonne-Nouvelle : « Nous sommes en guerre. Voulez-vous faire cours ou non ? » La professeure, droite et sérieuse mais avec un air presque habitué à déclarer si solennellement la gravité de l'heure, croyait devoir nous soumettre, à nous étudiants, le choix de poursuivre comme si de rien n'était, ou alors de sortir et de manifester au grand jour. Autre cas de figure. Mais la gravité de la guerre du Golfe qui avait été menée aussi par la France, vue d'aujourd'hui et vue d'ici, paraît dans les conséquences pour l'Europe toute entière presque anecdotique en comparaison avec la présente menace devenue réelle depuis une bonne semaine.
Il faut donc, en attendant mieux ou en attendant pire, continuer à respirer et à taper des mots, les uns après les autres, afin de trouver un sens, afin même de réfléchir comment maintenir le cap initialement visé, comment créer une autre réalité, fictionnelle à proprement parler, sans ignorer la réalité dans laquelle elle peut naître.
*
Passer en train la frontière en provenance de l'Allemagne me fait à chaque fois m'exclamer : « Enfin la civilisation ! » Des trains à vraiment grande vitesse, et des voyageurs discrets qui n'oseraient pas une seconde, sous menace de se voir lynchés, sortir leur portable pour passer un appel vociférant, ou sortir, désagréable à même titre et abondamment pratiqué sans gêne outre-Rhin, leur casse-croûte au pâté de foie inondant la voiture entière de parfums d'entrailles.
*
Accueilli pour les deux premiers jours non loin de Belleville par un ami, l'humeur est bonne, les retrouvailles avec la ville, le soir dans les rues, au restaurant, autour d'un verre : comme une évidence. Un poisson dans l'eau. Tout d'un coup, les quinze/seize ans de ma vie ailleurs paraissent comme nuls et non avenus, le temps se contracte, et la sensation d'aujourd'hui se rattache, se recoud aux dernières impressions d'avant le départ, comme si une nuit seulement, un peu longue, un peu ivre, les avait séparées.
L'avant-midi, au café, festoyer avec une amie, repas à l'atelier, renouer, apprécier l'instant de l'échange, et le bonheur de savoir que les semaines à venir je pourrais les revoir toutes et tous, encore et encore.
*
Visite d'une galerie. De Belleville à Saint-Germain. Le bonheur est dans les prés. Qu'ils soient de grès ou de brins. Les amitiés restent, les habitudes aussi. Ensemble avec mon hôte nous nous élançons sur les escalators de Beaubourg. Baselitz, l'espiègle. Le copieux copieur. Je ne le voyais pas si opportuniste. Seules les sculptures savent me convaincre. Le choix des peintures me laisse pantois. Il me reste un souvenir d'une réunion plus perspicace de toiles et de gravures grand format. MAM de la Ville de Paris, de longues années déjà.
Sur le chemin du retour, la jeunesse éternelle aux devantures des cafés. Édouard Louis dit de la haine qu'elle n'a « pas besoin d'individus particuliers pour exister mais uniquement de foyers pour se réincarner. » La tchatche, elle non plus.
Je quitte la rue Geoffroy-l'Asniers et mes quartiers généraux bien temporaires pour faire des courses. Jamais habité un endroit si central à Paris, jamais eu autant d'espace. Tout a son temps, semble-t-il. Puis, hier je disais que les années depuis mon départ il y a une quinzaine d'années me paraissent comme nulles et non avenues. Oui, tout est là d'un coup, le meilleur et le pire ; la légèreté de la flânerie et la lourdeur de la vie pratique, je renoue sur-le-champ avec toutes deux. Jamais habité un quartier aussi cher non plus. Faut que je retrouve mes repères de précaire. Faire les emplettes dans les mini-surfaces truffées de produits conditionnés comme s'il s'agissait d'une épicerie d'enfant, au prix fort bien entendu, cela reviendrait à épuiser d'entrée de jeu toutes mes billes.
Je prends le métro pour aller, sans changements, à Place d'Italie. Je fais confiance à ma mémoire, à ce Paris dans mon corps. Mes pas me mèneront à bon port. Dans la rame, face à moi sur un strapontin, un jeune homme en bleu de travail rendu gris par de la poussière de plâtre. Il se tient penché en avant, les coudes sur les cuisses, juste au-dessus des genouillères qui lui sculptent des rotules rectangulaires ; entre les mains, un livre.
Je le remarque de suite. Une vue inhabituelle. Il tripote les pages, ses yeux courent sur les lignes, le corps se note agité par ce qu'il lit. J'ai du mal à voir le titre. C'est une couverture jaune des Éditions Grasset, je pense. Je déchiffre d'aujourd'hui, puis je me dis qu'il faudra que je retienne le titre entier. Mais à quoi bon ? Par pur plaisir de savoir à quelle langue, à quel thème un inconnu se frotte ? Un bref instant j'aperçois tout, puis je l'oublie.
Un ouvrier du bâtiment lecteur des belles lettres ? Pourquoi pas ! Je constate le conditionnement de mon regard, mais aussi la soif d'inattendu qui le sous-tend, tellement ma vie à Leipzig m'a asséché à cet égard. Voir quelqu'un lire dans l'espace public, à fortiori un livre de papier tout fait, voilà qui y est rare. Et plus encore dans un pays où éducation et origine sociale vont de plus en plus de pair. T'as tout ou t'as rien. Mais que Paris m'apparaisse d'un coup comme exemple de mixité et d'égalité des chances me surprend. Le Petit Paris ne l'est certainement pas, ne l'est plus, à part quelques poches – le Grand Paris à coup de marteaux-piqueurs, l'est possiblement.
Je vois que le lecteur bleu-blanc-jaune remarque mes regards. Il me semble qu'il soulève le livre davantage afin de me dévoiler le titre. Je me trompe sûrement. Puis je le regarde plus attentivement, regarde les cernes sous les yeux et le masque qui vieillissent le jeune visage. Quelque chose me dit que je me trompe du tout au tout dans mes présomptions. Et s'il était artiste, sculpteur, de retour d'atelier ? Ça ne changerait rien au fait que le-voilà, immergé dans un livre, un vendredi après-midi, sur la ligne 7 du métro. Et encore. Il continue à triturer les pages, à replier le volume, feuilletant, cherchant visiblement des passages ultérieurs, antérieurs. Est-ce qu'il lit vraiment ? Je n'en suis plus si sûr que cela. Et peu importe. Je dois descendre. Et avec moi descend la certitude ô combien il est incertain de faire justice à l'autre si nous ne nous fions qu'à notre propre regard, à première vue.
*
Chargé des courses, de plusieurs cabas, d'un sac de voyage plein à craquer, je marche le long du Boulevard Vincent Auriol, et pense à l'un de ses descendants que j'ai eu l'occasion de rencontrer, et je me crève sous le poids de mes vivres. Même en boursier je fais encore les calculs d'antan : deux trajets aller-retour pour tout acheter, ce serait trop onéreux, quatre billets de métro ! Alors je paie en nerfs et en fatigue. Au retour : nez à nez avec le Monument aux morts de la guerre de Corée, coincé entre la Cité des arts et les quais. Je ne sais pas encore que le lendemain, aux aurores, je verrai une bonne douzaine d'âmes humaines étendre leurs corps sous le promontoire urbain qu'est la galerie le long du rez-de-chaussée de la Cité. Le Convertible contemporain qui s'y offre, derrière les vitres léchées, apparaîtra comme une moquerie cynique. À quoi cela tient-il qu'il y en ait à qui on paie le lit et le couvert, dedans, alors qu'on chasse, dehors, les autres ? Une phrase me revient à l'esprit, une réflexion de Francis Bacon le peintre. Quand je vois, disait-il, des carcasses pendouiller chez le boucher, je me demande ce qui fait que ce soient eux, ces êtres éventrés, et pas moi.
Puis, une autre citation me vient à l'esprit, mais celle-ci je dois la chercher pour la recopier. C'est Modiano qui fait dire cela à Jean, son narrateur dans L'Herbe des nuits : « Droits insuffisants. Je n'avais à cette époque aucun droit ni aucune légitimité. Pas de famille ni de milieu social bien défini. Je flottais dans l'air de Paris. »
Si, une chose a changé en ces quinze années d'absence. Si j'étais resté, je n'aurais jamais pu m'affranchir de ma condition de précaire, alors qu'ailleurs, avec les même ressources modestes, je suis sorti de la bataille injuste du trop juste. Si j'étais resté, j'aurais gardé de la hargne contre des gens comme moi.
ON NE MEURT JAMAIS POUR UN PAYS. ON MEURT TOUJOURS POUR RIEN.
Lever à l'aube.
Flânerie Île Saint-Louis.
Croissant ET pain au chocolat.
Continuer à marcher.
M'étonner.
Tout est si proche.
Je me goure, tout de même.
Ah, oh, et toutes les exclamations.
Elle se trouve-là, l'École polytechnique ?
La Maison de la Mutualité ?
La Tour d'Argent ?
Angle gauche, pas angle droit, vraiment ?
Mémoire trompeuse.
Les acquis ne sont qu'illusion.
Le fleuve, toujours.
Et toujours cette autre illusion,
comme si la ville avait été là la première,
comme si la Seine avait fait sienne son lit après-coup.
(Sur la ligne 7 du métro, en direction d'Aubervilliers)
La promiscuité des corps (dans le métro, au resto...) me pose de manière virulente la question de l'existence. Pourquoi eux, pourquoi moi ? Tiens, ce pied-là, dans ce mocassin noir, dénudé à la cheville, pourquoi est-il autre que celui que j'appelle mien ? Les deux ne sont que des objets posés sur le plancher de la rame, mais si un accident affecterait l'un et non pas l'autre, pourquoi s'écrirait-il et l'autre non ? N'est moi que ce qui constitue mon corps ? N'est pas moi aussi ce que je perçois, le monde qui me pénètre par mes sens, l'univers qui se constitue dans mes pensées ? L'altérité ne serait alors que le moi prolongé ?
*
Aux confins des jardins familiaux (anciennement : jardins ouvriers), à la sortie de la station Fort d'Aubervilliers, je longe l'avenue entre grillages et tours. Le ciel bleu fait miroiter la douceur du mois de mai... mais un froid strident me fait grelotter. Au bout d'une rue perpendiculaire qui jouxte les terrains, je tombe sur deux messieurs à la brouette. Scintillement. Demandant à l'un s'ils ont affaire à cette association de jardins, il me répond qu'il en est le responsable. Bingo de fortune !
Il m'apprends que oui, ils ont eu, plus ou moins, gain de cause. La Cour administrative d'appel de Paris avait invalidé le plan d'urbanisme. J'avais lu cela dans la presse au préalable. La piscine olympique et la gare de la future ligne 15, elles vont être construites – mais désormais seulement vingt de leurs jardins vont y être sacrifiés, en échange d'une soixantaine de nouvelles parcelles un peu plus loin. À qui, au fait, appartiennent les terrains ? À la gendarmerie, me dit-il, à l'État donc. Ce serait ainsi depuis la loi napoléonienne. Pas moyen d'y déroger. Il doit se référer au Code Napoléon, mais je ne vois pas le comment et le pourquoi.
*
Je reviens sur mes pas et m'engage dans l'avenue Jean-Jaurès.
Zingaro. Western et Côte d'Azur derrière le grillage. Clic, clic encore, une photo, une autre.
« Hé, Monsieur, qu'est-ce que vous faites là ?»
« Je prends des photos. »
« Ça oui, oui, je le vois. Mais bon, qu'est-ce que vous faites ? »
Sa voix prend un ton énervé.
« Regardez, n'est-ce pas drôle, enfin, drôle n'est peut-être pas le mot approprié, là, là-bas, vous voyez ? Il y a un squelette, un truc de chez le toubib, là dans le container, avec tout cet autre fatras. »
« Oui, mais vous ne pouvez pas prendre des photos juste comme ça, sans demander une autorisation. »
Le terrain est tout autre que vague. Le terrain est chaud, et je comprends qu'ils en ont vu, dans le quartier, des caméras, des intrus, des tchatcheurs en costard-cravate. Je calme les esprits en parlant de jardins, comme quoi je viens de parler avec le responsable de l'association, et que je trouve bien qu'on surveille le quartier, qu'on y soit attentifs. S'engage alors un bref échange bienveillant, grand sourire de part et d'autre. Et j'entends que la piscine, une fois les JO passés, va être la très bienvenue, la majorité des gamins du quartier ne saurait pas nager, faute d'opportunités.
On se dit au revoir d'un signe de la main, puis je prends le chemin qui me mènera en rond, tout autour des chantiers sur le Fort. Et je croyais qu'il y en avait encore un, un fort. Nenni. Quelques vestiges, des murets, une végétation sauvage, des oiseaux bien pipelettes. Et ces tours. Abandonnées. Tours de passe-passe. Hors du temps, hors de l'espace. Elles me mènent en bateau. Cèdres et cyprès. Et tout d'un coup, avant d'accoster en bas d'une entrée condamnée, j'ai cette image qui se superpose : L'Île des morts, d'Arnold Böcklin. C'est à propos. Juste derrière, au-delà des broussailles et murailles, se trouve le champ sacré, le Cimetière parisien de Pantin. Avec ses plus de 100 hectares de surface, il est, bien qu'extra-muros, le plus grand des cimetières parisiens, et le plus grand de France. Il fait plus de deux fois la taille du centre-ville de Leipzig ... et du Vatican !
En bas d'une tour, tout juste contre l'enceinte qui sépare la vie de la mort, ces deux matelas. L'un tout lisse, sous plastique, étendu là telle une de ces pierres tombales qui scelle le sort... et qui rend la vie facile aux survivants, dispensés d'entretien. Le second matelas, lui, se dresse comme une révolte. Il me fait penser à ce tombeau au Père-Lachaise qui voit une main sculptée sortir d'une crevasse, se cabrant contre le sort.
*
Cimetière Parisien. Une placette. Des pompes funèbres : chrétiennes, juives, musulmanes. Entre les allées, sur les parterres de gazon, des lits de violettes. Le vent, glacial, n'a point pitié de nous, rares silhouettes perdues. Le carré militaire de la Grande Guerre est voisin d'un autre, lui dédié aux victimes civiles de la Seconde.
À la sortie, parmi les pompes funèbres qu'habitent des airs funestes, une agence de voyage: FRANCE – MAROC, envois de fret. Sur le macadam devant la boutique : de gros cabas remplis de promesses, ornés de Tours Eiffel, d'Arcs de Triomphe, de ponts de Seine... J'imagine la gamine, le gamin qui va recevoir, loin au bled, cette odeur de l'autre rive. Toute sa vie, bon an, mal an, ces promesses vont rester, rester jusqu'à vérification sur place, contredites ou confirmées.
*
À la Porte de la Villette, la ville se corse. Capharnaüm du traffic. Traffic de tous genres. Pestilence et pestiférés. Une publicité double, tauto-logique, pour une bière belge entonne, cynique, le chant de cygne de ceux de l'autre côté de la bretelle. Quand plus rien ne tient, on baisse le froc. Affligeant, en effet, que la plus riche des régions d'Europe soit si pauvre d'attention. To attend someone, l'art d'être serviable.
*
Le contraste ne pourrait être plus grand avec ma balade du dimanche: un Marais de marasme, ras d'hédonisme, où le pareil semble se substituer au même, chaque fois plus tendance, chaque fois plus cher, plus plus. De guerre nul vent, le ventre plein. Le comble, cette boutique emplie de néant dissimulé, aux vitrines, là aussi de la tautologie, des paires de godasses d'un rouge sang, les esprits simples les appelleraient des bottes en caoutchouc, sont-ce quatre ou cinq voire six pairs, je l'ignore. Ce que je sais, par contre : elles coûtent (et non pas valent) ce que gagne (et non pas mérite, comme le veut l'allemand) celle ou celui qui a trouvé outre-Rhin un « boulot-de-450-euros »... par mois, il va sans dire. Ce sont quelques millions (aux alentours de 7 !), des femmes surtout, précaires et exploité(e)s, qu'on rémunère une misère, sans points de retraite.
Qu'il est beau, ce rouge de pluie...
En passant rue François-Miron, tout à côté, en route pour faire quelques courses, je découvre, au n°68 (!) une bien belle porte cochère en bois richement sculptée. Puis, je vois la plaque au mur qui va avec : COUR ADMINISTRATIVE D'APPEL DE PARIS. L'instance, justement, dont je parlais à propos des jardins d'Aubervilliers...
À regarder, à la télé française, des conférences de presse, des allocutions ou autres missives de com, à voir des décideurs entourés de dorures et d'héritage faste, rouge royal et taillé dans du dur, je me demande parfois ce qui leur est possible, en politique, en lois, en fois, de percevoir de cet autre monde sur lequel, le plus souvent, ils ont à délibérer. En l'occurence, pour les jardins de la Vertu, ou la vertu des jardins, le réel d'autrui semble avoir percuté la perception. Tête effrayée, celle sous les drapeaux...
Ça commence fort, le septième jour... de mon état parisien en recomposition. La ligne 7, encore. Direction : Poissonnière. Le service est annoncé perturbé. La rame arrive. Bondée. Je me retrouve face au même dilemme qui ne m'a donc pas quitté, le même d'il y a trente ans, oui, trente, le même car la réalité n'a pas changé. Paris est toujours aussi plein. Je ne veux pas monter dans ce vivier d'effluves et de contorsionnistes. Quelque chose dans mon corps dit non à cette abondance d'autres corps, emboîtés les uns dans les autres avec cet infime coussin d'air invisible qui les enveloppe chacun, cette distance minime qui garantit l'intimité dans l'anonymat. Mais le prochain train n'étant affiché que pour neuf minutes plus tard, neuf minutes qui semblent tout d'un coup comme le plus précieux de mon temps de vie, un élan de Parisien aguerri me fait m'élancer au dernier moment, avant le bip-bip, vers le seul bout libre du plancher, tout près des portes qui déjà se referment. Visage contre la vitre. Je serai le premier, à la station suivante, à être éjecté. Je descends, et je défend mon droit, je le pense vraiment et naïvement, à pouvoir remonter le premier une fois que le wagon a relâché une partie de ces autres corps, mais je me vois doublé par des zélés qui poussent par derrière par souci de triompher sur la meilleure place. Contagieux, cet instinct de survie et de lutte primaire, je conquiers le recoin latéral aux portes et colle mes fesses contre le strapontin replié. Visage vers la salle, car là, la rame se mue en spectacle. Me voilà, comme au premier jour frappé, émerveillé par ce ballet des corps. Qu'ils sont beaux ! Les visages, et ce port de tête, ces airs de je ne sais quoi, ces univers déambulants, tout un chacun, figés pour quelques stations. Là encore, je me rends compte avec ce léger picotement au cœur de celui qui, en forêt, s'est trompé de chemin et revient sur ces pas, ô combien je me suis asséché, toutes ces années écoulées, en terre germanique. Ici, à mon poste d'observation, je n'ai besoin de rien faire, je me tiens à ma place. À chaque arrêt, ça papillonne, la danse évolue. Il y a de tout, de toute beauté. Des grands et des petits. Des barbus et des rasés. Des jeunes et moins jeunes, des mûrs. Châtain clair et foncé, blond paille, brun et noir, toutes les couleurs de cheveux et de peaux, des regards, non vers moi, vers leur avenir, vers l'heure qui suit, vers celle qui traine, là, derrière, comme un regret, une chance perdue. Des corps sveltes et travaillés, musclés et « embonpointés », tous sous du fil camouflés mais lisibles malgré tout. Capuches et casquettes, baskets et mocassins, du cuir et du tissu, de l'élégance et de la négligence, mais de la beauté toujours. En une année, mes yeux ne se sont pas vus offert une fraction d'un tel régal que pendant cette course de métro parisien, ce même pas quart d'heure de renaissance des sens. C'est certainement le plaisir d'avoir gagné en âge que de devoir se contenter, de plus en plus, du regard, de mon propre regard, je m'entends. Plaisir d'autant plus grand, si on veut s'en tenir là, que les regards justement sont si rarement retournés, moins encore à cette époque qui a, à la place des yeux d'autrui, introduit quelques centimètres carrés de verre animé, une surface que l'on caresse et d'où l'on tente de déceler les mystères du monde.
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Boulevard Barbès, après le choc de voir Tati anéanti, je m'adonne, enfin, au vice. Le sous-sol en regorge. Du noir sur blanc. De l'encre et du papier. Et des univers, là encore et encore plus fort, sous chaque plat. Je fais les emplettes et la pile grandit, une vraie tour de Babel, monolingue toutefois. Mais des récits aux voix multiples, et l'odeur qui promet. Toujours cette autre odeur des librairies ici. Je me plais à me raconter que dans le temps, j'en reconnaissais certaines à leur parfum, comme celle Place Clichy, de Gallimard, à l'odeur d'encre bien particulière de l'édition Folio...
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Dans mes anciens quartiers. Le plus longtemps autour de la Butte, du côté du 9ème, vers Blanche, et au 18ème, à Marcadet. Me retrouve rue Ramey. Gentrification, ici aussi. « Se boboifier », voilà ce qu'on dit, n'est-ce pas ? Je me sens d'une quiétude, note la tranquillité d'esprit qui m'anime et qui me pousse à m'engager plus loin sur les trottoirs. Une tranquillité, oui, du moins elle est orientée, encadrée, rivée sur un but. Je n'ai pas à me débattre pour la survie, voilà qui change d'avec ma perception du quartier d'il y a quinze, vingt ans. Enfin, je suis de retour, enfin, je fais ce que je veux vraiment faire. Rue Custine, la sensation curieuse de reconnaitre des têtes, elles me paraissent familières, ayant pris de l'âge comme moi. Des voisins, des habitués du quartier, ces silhouettes qu'on intègre, sans les connaître de plus près, dans la toile de fond, un peu statique, certes, mais rassurante, de la vie de tous les jours. Je suis sûr, je le crois un instant, de ne les avoir jamais vues, ces têtes, c'est pas probable. Mais encore. Qui sait ? Est-ce par la mémoire du corps, par les sens, la vue que me vient cette impression, ou est-ce, comme idée, une figure de l'esprit qui me sait de retour sur mes anciennes terres de parcours ? Ces derniers jours m'ont fait entrevoir que me fier a ma mémoire me joue des tours.
Je monte, finalement, vers le Sacré-Cœur où j'ai si souvent trainé ma solitude. Tiens, Le Lapin Agile, lui aussi, ma mémoire ne le plaçait pas où il est, elle le voulait où se trouve la Maison Rose... À quoi se fier, au fond ?
La Basilique, elle, pas moyen de ne pas savoir la situer. Et je l'avoue : je l'aime bien, cette bâtisse, non pas, bien sûr, pour sa symbolique, mais pour ce qu'elle offre. Quiétude et animation, recueillement de profane et observation des foules, autre tour de Babel, à l'horizontale, étendue sur les marches surplombants la ville. Dedans, je suis mon rituel et fais un tour, le long des chapelles, le long des cierges, allumées ou empilées encore, en attente de croyants. Quand ma grand-mère, protestante, est morte, je suis souvent monté ici allumer une lumière. Et plus d'une fois, je n'avais pas l'appoint pour financer la foi, j'ai donc pris ce que j'avais, et j'ai pris soin à ce que ça résonne fort dans la caisse, la pièce de valeur inférieure, quand elle percutait le fond, ou la plénitude de métal déjà amassé. Et je disais, d'un air malicieux, dans ce dialogue interne que j'entretenais alors avec la défunte : « Tiens, on les a bien entubés, les catholiques ! »
Moi, je ne crois en rien. En aucune des ces abstractions. Mais parfois, en rigolant, je dis que si un jour, ce qui est peu probable, je me découvrirais croyant, ou du moins le besoin de m'acheter une appartenance, j'irais chez les catholiques. Chez les catholiques, on a de quoi pour son argent ! De la travestie, du théâtre – comédie et tragédie à la fois, du chant et des points d'orgue pompeux, des échappatoires de polythéisme de par les saints et saintes, des odeurs de fumoir et des cabines d'épuration d'âme. Sans oublier l'érotisme, voire plus, à la vue de tout le monde, le long des murs, au milieux des plafonds, et au centre de la croix.
Avec tout ça, je crois que ma candidature ne serait guère recevable...
*
Je me grouille. Rendez-vous au café, face au Théâtre de l'Atelier. Je suis invité, le soir, d'aller voir Huis clos de Sartre.
Nous avons coopéré au fil des ans sur quelques projets, nous nous sommes parlés, entendus, vus par technologie interposée, là, nous nous voyons pour la première fois. Bel échange autour d'un Earl Grey.
Quand après le thé nous traversons la rue et prenons place dans la salle, l'étonnement des retrouvailles avec des rangs et des sièges de théâtres. Pas de place pour les jambes, moins encore pour les pieds. Plus serrés nous sommes que dans une rame de métro. J'ai peur d'avoir une crampe et garde mes jambes en mouvement, tant bien que mal.
La pièce commence, et je suis aux anges, dès les premiers mots. Voilà une mise en scène (Jean-Louis Benoit) qui met à l'honneur, comme il se doit, le texte et le jeu des acteurs, tous excellents (Marianne Basler, Mathilde Charbonneaux, Guillaume Marquet, Antony Cochin). Le texte, presque octogénaire, n'a pas pris une ride. Il se catapulte à mon oreille, sur mon palais comme un millésime 2022, mûr avant l'heure.
« Je ne peux pas supporter qu'on attende quelque chose de moi. Ça me donne tout de suite envie de faire le contraire. »
« Vous allez voir comme c'est bête. Bête comme chou ! Il n'y a pas de torture physique, n'est-ce pas ? Et cependant, nous sommes en enfer.
Et personne ne doit venir. Personne. Nous resterons jusqu'au bout seuls ensemble. C'est bien ça ? »
« Je suis sèche. Je ne peux ni recevoir ni donner ; comment voulez-vous que je vous aide ? Une branche morte, le feu va s'y mettre. »
Avec effroi, je me retrouve, je retrouve une partie de moi, dans la cruauté cynique d'Inès. Mais aussi dans sa clairvoyance – pense-t-elle, crois-je.
Et je saisis mieux, cela aussi, je le crois, cette fameuse réplique, de quoi il retourne quand il est dit : « L'enfer, c'est les autres. »
Pas les autres en tant que tels, mais notre interdépendance tant que nous nous conférons, par peur, par faiblesse, par lâcheté, par solitude, souvent, le pouvoir de nous juger les uns les autres, en prenant ce regard pour argent comptant. Non, tant que nous considérons que le jugement d'autrui nous est nécessaire pour vivre, et tant que nous confondons jugement et condamnation. S'offrir un regard bienveillant, voilà autre chose. Bien veiller les uns sur les autres. Veiller, pas surveiller. Pas d'hiérarchie. Pas de contrôle. Pas de soumission. Si difficile à atteindre. Puisqu'il faut deux pour faire un monde. Au moins.
*
Comment écrire des vivants, enfin, de ceux qui ont accompagné ta vie, de ceux qui sont encore présents, de loin ou de plus près ? Je n'ai pas trouvé de réponse satisfaisante, pas trouvé le juste équilibre entre le respect de l'anonymat et la nécessité de dire. Pas pour les amitiés, pour les rencontres fortuites, ni pour les amours. C'est en tâtonnant, certainement, coûte que coûte.
Allez, je me lance.
Quand ce que tu pensais être des retrouvailles en amis devient l'illustration pourquoi cela n'a pas pu « marcher » entre vous ; quand tu te retrouves, face à l'autre, même quinze, vingt ans après, dans le même enfermement qu'au commencement, et tu te demandes pourquoi tu l'as si longtemps toléré, pourquoi tu le tolères toujours, ce dialogue de sourds ; quand tout dans la configuration de vous deux fait fausse route et que tu te dirais, si tu étais attablé à côté en témoignant de la scène: « Casse-toi, vite ! »
Ce n'est pas pour faire mal que je dis cela, mais parce que c'est vrai. Une vérité qui n'a jamais eu de la chance, la chance d'être formulée et entendue, seulement consumée et, par la rupture, consommée.
Quand tu te sens mur de projection, de tant de projectiles de paroles, de tant d'histoires biscornues rapportées sans relâche, haletant, que tu cherches la respiration, la tienne, pour ne pas suffoquer ; quand ton regard commence à se promener, cherchant à prendre le large, cherchant un lieu autre où s'accrocher, tiens, peut-être une chance de dire de quoi, pour peut-être entrer dans un échange, un dialogue de vrai, au lieu de poursuivre le défilement des monomanies. Les rares questions que tu entends, des questions sur ta vie et auxquelles tu réponds par quelques pauvres phrases, peureuses de se voir roulées dessus, et qui sont encaissées, bien sûr, parce que qui tu as en face te les as posées pour ensuite les ramener à soi, pour donner réponse soi-même, par rapport à son propre vécu, ses propres histoires. Et cela ne te laisse pas de place et tue toute envie de vraiment entendre, de vraiment savoir. Trop d'attention sollicitée tue l'attention. L'envie inhibée tue le désir. Pas d'amour possible. Et ainsi deux solitudes crashent, elles l'ont fait avant et elles le font encore.
Les paroles, de par le trop plein, par le manque d'écoute, s'annulent et, devenues masse informe, elles t'embourbent l'esprit. Être mur de projection n'est pas être miroir. Un miroir qui s'aveugle des deux faces. Le monde se rétrécit au lieu de s'ouvrir, le monde devient moche, une succession de fatalismes, une lutte qui n'est pas la tienne. Tu dois te protéger, tu dois protéger le fragile équilibre de ta sérénité. Elle est nécessaire à ton travail. C'est pour lui que tu es ici. C'est pour lui que tu pars, que tu prends congé. Des congés payés de longue haleine, de frustration et d'un lent apprentissage de dire : non.
C'est la pluye à Paruy, voilà comment j'avais intitulé un dessin il y a belle lurette. Le titre me revient à l'esprit en regardant par la fenêtre les gouttelettes heurter le zinc. Me décide à faire une promenade.
Après l'achat compulsif de livres, la veille, je m'offre aussi, et enfin, le premier tome du Journal (1919-1940) de Julien Green. Un auteur que j'ai trop longtemps délaissé et qui me revient en force.
Rue des Écoles, le square qui forme l'essentiel de la Place Paul Painlevé a été baptisé Square Samuel Paty.
Les riches plantations font appel aux jardins médiévaux, face au musée Cluny, comme il plane d'ailleurs une attention dans l'air, une attention prêtée à cette longue époque passée : l'intérêt renouvelé pour Notre-Dame suite à l'incendie, la mise en avant du patrimoine des autres églises romanes et gothiques au centre de la ville, la promenade guidée proposée par le Théâtre du Châtelet, parcours sur les traces du Paris médiéval, puis, par le même théâtre la mise en scène du Roman de Fauvel, spectacle auquel je compte assister. Le poème satirique date du 14ème siècle, son nom étant un acronyme, je viens de l'apprendre, des six principaux défauts du siècle (duquel ? du notre, aussi ?) : Flatterie, Avarice, Vilenie (« U » écrit en « V »), Variété, Envie et Lâcheté.
Le Quartier latin, un de mes anciens quartiers là encore, mais pour les études et le travail (plus, il est vrai, pour y avoir vécu quelques mois, rue Claude-Bernard, jouxtant les murs du Val-de-Grâce). La façade de la Sorbonne m'évoque un tout premier cours d'histoire de l'art. Ce Léonardvinci, jamais entendu parler de lui, qui est-ce ? J'apprends, plus que sur lui que je connais sous son nom « véritable », quelque chose sur cette allégresse française de tout franciser, jusqu'au noms propres. Rien de nouveau, le tollé donc autour de certains propos d'un prétendu présidentiable semble l'oublier.
Pour réveiller les oreilles, et peut-être davantage, je fais toujours le contre-exemple pour savoir si ça plairait : Klaus Debussi, Franz Kuperä, Koko Schanell. Il n'y a que les Espagnols, à ma connaissance, qui font de même, et plus fort encore : la reina Isabél y su hijo Carlos parle bien des Windsors...
Gommer l'altérité, céder à la paresse de l'esprit et à la surdité des cœurs, en voilà une manière d'y parvenir.
Rue Saint-Jacques. La coquille par terre, dans le macadam, indicateur vers Santiago de Compostella (sic). Depuis si longtemps, mon idée, cette intention probable de tenir une pension, quelque part sur ce chemin... –
Sur une bouche d'aération, contre la grille qui longe le bâtiment universitaire, à hauteur de l'entrée du Lycée Louis-le-Grand en face, une masse couchée, bleu foncé, comme un trait de pinceau imbibé d'eau. Des passants qui... passent. Beaucoup de passants. Serait-ce, là, cette chose difforme, un pied ? À sa hauteur, je me baisse pour voir. Un jeune homme, somnolant. Pas clair s'il est malade, endormi, affamé, drogué. Peut-être tout à la fois. Je lui pose la question s'il ne veut pas plutôt se mettre au chaud, au sec. Non, je suis bien là, non. Il ne veut pas partir de là. Une cigarette, si je n'ai pas une cigarette. Non, j'en ai pas. Si je voulais pas en acheter. Je préfère savoir s'il ne veut pas vraiment aller ailleurs. Une jeune femme s'arrête, et me regarde parler avec lui, puis elle s'approche, lui pose son sac en papier kraft devant le visage, les restes du repas, dit-elle timidement. Une cigarette ? Elle lui tend la sienne, il aspire, le monde lui semble meilleur, je suppose. La femme s'en va. Je pose encore ma question si ce n'était pas mieux d'appeler de l'aide pour qu'il aille se mettre à l'abri. Non, surtout pas.
Je prends congé. Plus haut, je m'adresse à trois gardiens devant l'entrée latérale à la Sorbonne. Je leur dit qu'il y a là, devant leur pas de porte, un peu plus bas, un homme allongé sous la pluie, s'ils savaient où appeler, qui prévenir pour lui venir en aide. On sait, on le connaît, me disent-ils, en me taxant de leurs yeux étonnés comme si ma requête venait d'une autre planète. Il n'y a rien à faire, dit l'un d'eux, il ne veut pas partir. J'insiste. Non, le samu est déjà venu. Le samu social ? Oui. Même la police, ils n'y peuvent rien. Bon, donc, vous le savez, c'est bien devant votre porte.
Je n'ai pas su aider. Je me suis arrêté, au moins ça, préoccupé. En tête cette nouvelle affligeante et éhontée d'il y a à peine quelques semaines. La mort à Paris, dans la rue, du photographe suisse René Robert, mort de froid, victime d'un malaise, et de l'indifférence des passants.
Je laisse derrière moi Louis-le-Grand, établissement que j'ai connu de l'intérieur, au fil d'une longue année scolaire, côté pupitre. Promenade à travers le 5ème, Saint-Étienne-du-Mont, Contrescarpe, Mouffetard, Saint-Médard, puis le campus de Censier-Daubenton, la Sorbonne-Nouvelle. Dans une de ses salles, il y a 30 ans de cela, en Études théâtrales, j'ai improvisé, en allemand, sur un extrait de Le poids du monde, de Handke. Surpris de l'effet que cela a eu sur les autres, j'avais réalisé que j'ai dû être convaincant, malgré moi.
Je longe la Mosquée, puis le Jardin des Plantes, déjà fermé. La nuit est tombée, la panthère noire de Rilke s'est confondue avec le crépuscule, avec le temps. Quand je gagne les quais, c'est l'heure bleue qui habille les ponts.
Paul Éluard écrit en 1942 son long poème Liberté.
Voici en citation le début et la fin :
Sur mes cahiers d’écolier
Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable sur la neige
J’écris ton nom
Sur toutes les pages lues
Sur toutes les pages blanches
Pierre sang papier ou cendre
J’écris ton nom
[...]
Et par le pouvoir d’un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer
Liberté.
*
Dans l'avant-propos de la première publication de son journal, en 1993, intitulé On est si sérieux quand on a 19 ans, Julien Green écrit sur ses pages alors relues, pages du jeune homme qu'il a été, tant de décennies plus tôt : « (...) la jeunesse est une armure contre le monde, mais si cette armure la protège, elle l'isole, et sans doute faut-il se laisser toucher pour s'épanouir et devenir ce que l'on est.
Déjà ma destinée était tracée. Pour tout homme, la vie est jouée à dix-huit ans, dans le secret de son cœur. »
Combien de vies d'hommes sont et seront jouées à présent, touchées par bien autre chose que la grâce, l'amour ou la connaissance ! Nulle armure qui protège contre l'éclatante certitude de la mort.
Voilà des petites choses qui se remarquent : à 7:41 heures ce dimanche matin, un boucan dans la rue, en-dessous de ma fenêtre. Le ramassage des poubelles ! Serait-ce cela aussi, voudrais-je me dire d'un air moqueur, la laïcité à la française ? Mon subconscient semble redevenu allemand. Quelque chose en moi sait pertinemment que les deux donnes « dimanche » et « camion poubelles » ne vont pas ensemble. Là-bas, outre-Rhin, impensable. Déjà que l'ouverture de certains magasins, même des boulangeries, le saint jour du dimanche a soulevé des débats et que laver sa voiture le septième jour serait perçu, dans de nombreuses régions, presque comme un acte impie.
Cette notion de la séparation des Églises et de l'État, voilà ce que la France, si on veux parler dans l'abstraction, m'a donné en cadeau, et j'en suis bien reconnaissant. Si le prix à payer était d'avoir le réveil dominical percuté par le labeur qui se fait aussi pour mon bénéfice, amen...
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Visite du Musée de la Légion d'honneur, entre le Quai Anatole France et la rue de Lille, jouxtant le Musée d'Orsay.
Des recherches pour un des chapitres de mon livre « Cours particuliers ».
L'Hôtel avait été construit pour un prince allemand, Frédéric de Salm-Kybourg, marié à une princesse de Hohenzollern-Sigmaringen. Sa sœur à lui va épouser son frère à elle, le futur souverain de la principauté de Hohenzollern. Premier lien important entre la petite résidence, située au nord du Lac de Constance, et la France. Lien approfondi par l'amitié entre Amalie Zépherine et les Beauharnais, puis les Bonapartes, consolidé par le mariage du fils d'Amalie avec la nièce et pupille de Joachim Murat, roi de Naples et beau-frère de l'empereur. Que le dernier chapitre majeur de cette histoire française de Sigmaringen ait à voir avec le Vichy politique, voilà qui n'est nullement mentionné dans l'exposition sur la Légion d'honneur. Que ce Vichy politique ait sali l'honneur de la France, ce fait serait à mon sens raison suffisante pour justement en parler, pour en proposer une lecture critique, au lieu, dans ce musée en un lieu qui s'y prêterait si bien, de le traiter honteusement avec une seule mention furtive au fin fond de la dernière salle. S'y tiendrait-on toujours à l'ordonnance si confortable du Général de Gaulle qui voulait que Vichy soit nul et non avenu ?
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La peinture en médaillon montre un Napoléon III richement décoré.
L'empereur avait coutume d'aller soulager ses maux dans les eaux thermales d'un petit lieu au nord du Massif central. Par un acte de volonté, pour concurrencer les villes d'eau en Allemagne, alors très courues par la noblesse et la grande-bourgeoisie européennes, il fit construire une infrastructure de taille avec de somptueuses bâtisses pour en faire, de ce lieu, le Vichy qu'on connaît depuis. Il a bien calculé son coup, tout le beau monde y court ! En allemand, cela s'appelle jemandem das Wasser abgraben, priver quelqu'un de l'eau, ou prendre quelqu'un à la gorge.
C'est précisément cette infrastructure hors pair, dotée de la centrale téléphonique dite la plus moderne et sophistiquée du continent, d'innombrables hôtels et palaces et de l'immense salle de l'opéra qui va faire de Vichy le lieu idéal pour l'implantation de « l'État français » sous Pétain. On peut y loger aisément toute l'administration, les ministères, les fonctionnaires et leurs familles.
Dans ma nouvelle Kalksteinsplitter (non encore publiée ni traduite), je regarde de plus près le chapitre de l'histoire franco-allemande à Sigmaringen, le Vichy-sur-Danube des huit derniers mois de la Seconde Guerre mondiale.
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Découverte artistique : la saisissante œuvre de l'artiste suisse Eugène Burnand (1850-1921), du temps de la Première Guerre mondiale, qui voulait réaliser le catalogue le plus complet possible de soldats ayant participé à ce cataclysme. Les portraits sont exécutés au crayon et, je suppose, à la craie, et captent avec une grande maîtrise et une sensibilité exquise des âmes en conflit. À voir absolument !
Les portraits d'un matelot et d'un soldat d'infanterie semblent être des pièces avant l'heure de Pierre & Gilles...
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C'est la nuy à Paruy...
Il y a parfois, il est vrai, je le concède, des images qui en disent plus long que les mots.
Parfois, disais-je...
Promenade de quelques kilomètres, rive gauche.
Invité, près d'Alésia (la place, pas le Mont Auxois !), à un diner. Invité chez des amis, je puis le dire ainsi. Je pouvais le dire avant d'y aller, et je le confirme depuis. Des amis qui sont devenus proches au fils des ans, le long d'un échange qui s'est nourri de conversations au téléphone, de missives envoyées par satellites, de pensées échangées sous forme de livres, livres glanés, livres édités par leur soin.
Ce soir, c'est la première fois que nous nous voyons pour de vrai. Belle soirée de retrouvailles et de découvertes à la fois.
Quand je m'en vais, à minuit, pour prendre le métro : portillons fermés de toutes parts. Travaux ! Le seul bus qui me rapprocherait alors de mon lit : trente minutes d'attente. Trop impatient pour piétiner sur place. Je me mets en route, à pied. Je me lance dans les canyons de la nuit. Le corps retrouve les marques d'antan. Marcher, marcher jusqu'à épuisement, traverser la ville nocturne du sud au nord, dans tous les sens.
Fatigue balayée, vibrations nocturnes, promesses et preuves.
Je savoure ce cadeau inattendu d'être relâché dans le dédale chéri de Paris, transmué, de par ses illuminations, en un tableau métaphysique. Jeunesse retrouvée. Avancer de mes propres forces, dépendre de rien d'autre que de mes jambes, de mes pieds, noués de douleur mais heureux, oui, des pieds heureux de vivre, de me porter, qui sont là, me servent. Sous la chemise, la pompe qui joue le jeu.
Les rouges et les verts et le blanc jaunâtre. Grincement de roues sur voies ferrées. Où suis-je ? Jouissance de me perdre dans l'inconnu maîtrisé, dans le connu nu, mis à distance. Ce sont, justement, les distances que je laisse derrière moi autant qu'elles m'attendent, moi, mangeur d'étendues.
Le port du masque n'est plus obligatoire. Soit.
On se l'arrache, un peu partout, comme si de rien n'était.
Mais attention : élections imminentes, faut que le peuple aille s'exprimer, sans avoir de quoi devant le nez, de quoi devant la bouche qui l'empêcherait de se dire. À bas les muselières. Cadeau électoral avant l'heure. Ensuite, il restera le temps de proclamer : marche arrière, masquez-vous, assez dit...
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Au cinéma pour voir le documentaire À demain mon amour, de Basile Carré-Agostini. Une recommandation amicale. Je comprends pourquoi.
La caméra suit deux sociologues, Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon.
Deux vies dédiées à la recherche, au savoir, à cette obstination de vouloir comprendre l'objet de leur étude. La grande bourgeoisie, les structures du pouvoir.
La vie intime du couple, voilà ce que racontent les images, s'inscrit pleinement dans leur travail. La caméra rend intelligible le processus même de la réflexion. Puis, Monique dit à son mari qu'elle a peur pour les plus jeunes, pour les générations qui ont encore la vie devant elles, peur qu'elles ne sauront pas, qu'elles ne pourront pas vivre ce qu'eux deux ont eu la chance de connaître, vivre, s'aimer, comprendre. La crise, la révolution (qu'ils appellent de leur vœux), sa répression surtout (on se souvient ces jours-ci de la Commune), tout cela pourrait faire de la vie une survie, sans plus. Ou moins encore.
Au sortir de la salle, le monde est redevenu instable, il est devenu ce qu'il est mais ce qu'un trop-plein d'habitudes camoufle si vertueusement. Jusqu'à nouvel ordre.
Voyage à Blois. Visite guidée à l'École de la nature et du paysage. Bel outil de travail, de connaissance, de transmission. Chanceux qui peut faire ses études ici. Programme holistique, parcours individualisé. Ambiance d'école des beaux-arts, avec ce plus d'un autre sérieux, celui de se préparer à avoir un impact sur le monde tangible, au lieu de se l'imaginer. L'institution est sise dans un bâtiment des anciennes usines Poulain, le fabricant blésois qui a popularisé la consommation de chocolat en France.
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En mes jeunes années, j'ai connu une petite-fille de Pierre Sudreau, ancien maire de Blois et ministre. Il semblerait que c'était lui qui avait, grâce à une correspondance épistolaire en ses jeunes années à lui, inspiré à Antoine de Saint-Exupéry le personnage du Petit Prince...
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Visite du château de Fougères-sur-Bièvres. Site exceptionnel. Château fort. Charpentes imposantes. Patrimoine et nature. Visiblement moins couru que les autres châteaux de la Loire. Je souris à l'idée qu'il est le premier de ces châteaux où je mets le pieds. Vivre ici (dans le village, j'entends), je quitterais toutes les villes du monde. Vraiment ? À voir...
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L'après-midi, promenade dans Blois, pour guide l'ami qui me reçoit. Peu à peu le plan de la ville s'inscrit en moi. Les toits des maisons sont recouverts d'une fine poudre jaunâtre, le sable du Sahara, comme si un chocolatier en manque d'attention avait saupoudré quelques tonnes de cannelle sur ces ardoises dans l'air pour peut-être effacer les dettes. De qui ? Je n'ai aucune idée...
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Diner amical en petit comité. Être reçu comme ça vous fait être chez vous chez les autres.
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Au lendemain matin, découverte du château surplombant la Loire. Curieux ensemble de quatre époques bien distinctes. Je découvre le blason de Louis XII, le porc-épic. Autrement piquant que l'hermine, animal héraldique de son épouse, Anne de Bretagne. Ah, cette Histoire de France, histoires de sang bleu.
La statue équestre du roi (copie XIXe de l'original d'autour de 1500), sur le fronton de l'entrée, côté Place du château, me fait penser au Cavalier de Bamberg, en Franconie, lui de 1237 environ. Mais là, pour une fois, l'œuvre en terre germanique rayonne davantage, recèle de plus de grâce que la pièce blésoise.
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En route à vélo, à travers champs, le long de la Loire. Troisième visite de château en deux jours : Chambord. Quelle « folie » des grandeurs ! Une maquette géante devenue réalité. Vide somptueux des espaces intérieurs, étendues à couper le souffle dehors. Une exposition temporaire parle de Chambord comme l'un des sites où l'on avait entreposé une grande partie des œuvres d'art du Louvre, entre 1939 et 1945. Une vidéo donne la parole à Guillaume Fonkenell, ancien conservateur au Louvre et actuellement Conservateur en chef du patrimoine auprès du Musée National de la Renaissance au Château d'Écouen. Ses présentations sur YouTube font partie de ce qui m'a le plus frappé ces derniers temps, en matière de transmission joyeuse du savoir, et en ce qui a trait à la rhétorique maîtrisée. À voir et écouter absolument !
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Art contemporain et nécessités actuelles...
Retour à Paris le dimanche. Au départ de Blois : train annulé. Je me sauve dans une rame en direction d'Orléans. Pas de correspondance avant trois heures d'attente. Je vais rater un spectacle au Théâtre du Châtelet. Tant pis. Si ces deux années passées nous ont appris une chose, c'est bien la patience, et l'aptitude à composer avec ce qu'il y a. Je me réjouis de ce supplément de voyage et me lance à la découverte de la ville de la Pucelle schillerienne.
Place du Martroi, quartier Bourgogne, Cathédrale, Musée des Beaux-Arts. Au musée, je tombe nez à nez avec deux terres cuites (Voltaire nu et Le Citoyen) de la main de Jean-Baptiste Pigalle. Rien que pour elles, ça vaut le détour. Giacometti devait les connaître. Finesse dans la brutalité du geste. La sculpture française, comme si souvent supérieure, je trouve, à bon nombre de peintures...
En début de soirée, arrivée à Gare d'Austerlitz. Quitter Paris, c'est le plaisir, toujours, d'y revenir.
Il est des jours comme ça. Des jours quand tu entends ce dont tu as besoin. Tu entends exactement ce qu'il faut que tu entendes, là, maintenant, sans détours et sans retard. Aujourd'hui, ce soir, c'est un des ces instants. C'est la masterclass de Rosa Montero, à la BNF.
(pour les séances à venir, voir ici)
Ce n'est pas tant ce que Rosa Montero dit, mais plutôt comment elle le dit, voilà qui percute.
Diction claire, appuyée, propos des plus limpides. Mais place au doute, à la découverte, au tâtonnement.
« Écrire est une structure de la personnalité. »
Oui, ces « moments océaniques », quand on s'ouvre au tout, quand on est éternel, quand on éclipse la mort...
Oui, la vie est « un chaos palpitant d'histoires. »
« Le roman est le genre littéraire le plus humain qu'il y a. C'est le plus cassé et sale qu'il y a, comme nous. »
« On écrit depuis le bord d'une nécessité catastrophique. »
« On n'écrit pas pour enseigner quelque chose, on écrit pour apprendre. »
C'est surtout cela, cette dernière sagesse, dont je me promets de me souvenir, encore et encore.
Au théâtre, encore !
Le jeune homme qui se place à mes côtés s'affaire avec son téléphone. Peu à peu la salle se remplit, modestement. Je dis : « Pas bien plein, n'est-ce pas ? » La conversation est entamée. Après un certain temps, quand il sait que je suis ici pour quelque temps, que j'écris, et que j'écris en allemand,
« normalement », il se met à parler en allemand, justement. Oui, des études à Aix-la-Chapelle, un master, en ingénierie, dans le domaine énergétique (a-t-il dit des énergies renouvelables, ou est-ce ma mémoire qui voudrait bien l'avoir entendu ?). Puis, quelques mois au sud de Munich. Il travaillerait maintenant deux ans à Paris, ensuite il voudrait s'installer à Zurich. C'est là que vit sa petite amie (que les choses soient dites, me dis-je, moi). Ah, la jeunesse, si pleine de promesses, si certaine de ses pas...
Je lui fais la remarque que je trouve, depuis que je suis arrivé, les Parisiens curieusement décontractés, reposés presque. Il s'étonne. Je dis que certainement c'est dû à mon propre état, que je ne suis plus dans la lutte de la survie, et que ça détend. Il donne un hochement vers la salle : « Mais je pense que les Parisiens, enfin tous ceux qui vivent à Paris, tous ceux là dans la salle, ils n'ont pas à lutter pour la survie. Ils vont bien. En banlieue, oui, ça, oui. Mais ici, non. »
Ah bon. C'est une manière de voir les choses. En effet, notre propre condition teinte bien les verres de nos lunettes. Je rétorque : « Mais tout de même, c'est quelque chose alors, autant de gens qui vont apparemment bien, non ? »
La pièce va commencer. Il choisit une place de parquet qu'on nous propose. Je reste dans les corbeilles. Une vue latérale sur la scène, ça me va à merveille.
Thomas Bernhardt. Faut le faire, voire ça à Paris. Un ami qui m'en a dit beaucoup de bien (Avant la Retraite). Puis, je me suis dit que c'est pour le jeu des comédiens que j'y vais. Et en effet, quels comédiens, quelles comédiennes ! Surtout la magistrale Catherine Hiegel qui tient la pièce par sa présence et la hargne dans sa voix, par ce personnage de vieille fille/vieille sœur acariâtre, foncièrement méchante, normale, quoi, dans la normalité qu'elle installe.
Texte écrit au couteau, sanglant, des répliques qui tuent, tout en laissant en vie, vivoter, celle ou celui à qui on les lance. Le texte est d'actualité, comment ne pourrait-il pas l'être, de tous temps. Là, plus encore.
Le déni et la haine, les opportunités, les aspirations, le colonialisme de classe. Un Bernhard bien de lui, de nous, d'eux, de nous tous.
Le théâtre, je n'ai jamais été chaud pour. Je l'ai évité. Exécré même, par moments, ces rares moments quand je m'y suis traîné ou quand quelqu'un avait réussi à me convaincre de le suivre. Je ne sais pas à quoi c'est dû, là, pour la deuxième fois en deux semaines : glorieusement fabuleux ! Serait-ce ma condition de précaire d'antan ? Même là, grâce à la bourse, je ne m'achète que des places de premier prix. N'empêche, je peux le faire, et je choisis d'y aller. Mais peut-être l'horrible et inutile Regietheater a connu sa fin ? Le texte, rien que le texte, et à son service les comédiens. Je ne ressens plus l'artifice extrême qui me gênait tant, jadis, au point que je voulais toujours me lever, monter sur scène, gifler les comédiens et leur dire : « Mais causez-moi normalement, bon sang ! » Non, là, la convention, la fiction de la scène, elle marche, je peux me laisser embarquer par le récit, par l'action, et je savoure toute cette vibration in vivo, et je regarde la salle, dans la pénombre, et je pense aux destructions, à la guerre, aux bombes qui tombent, aussi sur des théâtres, aussi sur des humains au théâtre, et j'imagine ce qui entoure cette salle précise, à ce moment précis, la part d'urbanité, l'enchevêtrement de murs et de câbles, de poutres et de portes, de fenêtres et de grilles. Un espace fragile dans un complexe fragile. Et là-dedans, la fragilité de la parole cadenassée par une langue de vipère, resserrée, raffermie, rendue docile à un état d'esprit qui ne peut que vaincre, qui ne veut que triompher sur tous les doutes possibles, sur ces points d'interrogation qui tourbillonnent au-dessus de nos têtes comme la menace d'une attaque.
Représentation somptueuse ! À vous faire glacer le sang.
Panne d'ordinateur. Vraie panne. Batterie au bout, bébête à la retraite. Quelle dépendance ! Retour au carnet, au stylo. La crainte que le flow, le flux se convertisse en flou. Faut rester branché, là-haut, dans la centrale de traitement des mots, et chasser les petits maux, les autres, d'enfant gâté.
Je suis tenté de noter par le réflexe du papier sous mes doigts des pensées qui auraient leur place dans un journal intime, et de là je me rends compte qu'un blog ou qu'un journal en ligne fonctionne visiblement sur un autre ton, un autre mode.
En voilà une découverte ! Le façonnement de l'écrit par le support. Intime et extime, dans le temps et dans l'urgence, la parole.
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Bus 63, depuis l'Institut du monde arabe à Trocadéro. Cluny – St Sulpice, du soleil sur l'eau des flots, fontaines et corps. Rue de Rennes, la Tour derrière un verre fumé. Le Lutetia. Que d'histoires ! Ça calme mes déboires numériques, la ville reprend le dessus. Ne pas me laisser dérouter, dégoûter. Rester engagé dans la gestation de mes Cours particuliers. Je veux, aujourd'hui, trouver à Suresnes la maison où j'ai fait habiter Jean, le Conseiller de la Chambre de commerce belge (du chapitre TROIS du livre en devenir). J'aime quand parfois la réalité suit la fiction, quand la recherche a posteriori confirme le jet de l'invention.
Assemblée Nationale. Pourquoi d'ailleurs, je me le demande pour la première fois, cette Chambre, non, cet édifice s'appelle-t-il Palais Bourbon ? Le nom des rois pour le haut-lieu du peuple ?
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Cité de l'architecture et du patrimoine. Les informations sur le Grand Paris Express que je croyais y trouver, nenni. L'avantage de ne pas s'informer sur tout au préalable, dans le duplicata numérique du réel : la surprise, la découverte ! Bien que sorti sans le butin espéré, j'ai vu, émerveillé et stupéfait, les improbables moulages, donc grandeur nature, des tympans et portails des plus importantes églises romanes en France, des cathédrales et, émouvant à plus haut titre, les sculptures de la flèche de Notre-Dame, miraculées, et le coq de tout en haut qui dans sa chute a laissé des plumes.
C'est d'ailleurs le plus grand plaisir et étonnement : voir en grand et en bas ce qui se situe, sur les vrais sites, en haut et apparaît donc bien plus petit.
À l'étage, une reconstruction d'un appartement en duplex de la Cité Radieuse à Marseille, de Le Corbusier. Très convaincant, très actuel, toujours. Puis, une maquette de la Maison de verre, visitée dans les années 2000, avec une délégation du SFMoMA. Visite spectaculaire. Lieu emblématique.
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Au Bois (de Boulogne). À pied. Le 63 s'est arrêté à Porte de la Muette, tranquillement . Service jusqu'à la Fondation Vuitton (pour la correspondance de bus) seulement le week-end ! Rejoins l'arrêt du 244 sur l'Avenue de Longchamp. Je constate qu'ont été aménagés des enclos pour protéger des terres avec de l'herbe, de la broussaille, quelques arbustes et arbres de plus petite taille afin de laisser la nature reprendre plus librement. Beau changement. Autrement, dans ce bois, ce qui prévaut c'est une idée de la nature, une idée de citadins ; on a réalisé une œuvre de fiction grâce à des essences qui poussent et qui donnent du vert. Malgré des coins agréables et réussis, il ne vaut mieux pas se tromper et méprendre cela pour de la nature, de la vraie, de l'authentique, terme d'autant plus utilisé quand il doit venir au secours d'une réalité toute autre. Il est vrai néanmoins que pour un Parisien c'est certainement le maximum de nature qu'il puisse rencontrer.
En route, un aperçu du château de Bagatelle, souvenirs d'il y a vingt-cinq/trente ans...
Descends à Suresnes-Longchamp, grimpe sur le Mont Valérien. Sur le chemin quelques maisons qui conviendraient pour Jean. Devant le monument commémoratif, la longue muraille en contrebas du Fort, avec la flamme éternelle et la Croix de Lorraine, avec les bas-reliefs saisissants d'expressivité douloureuse et de pathos, un groupe de quatre, tous au moins septuagénaires, me demande si je voudrais bien les prendre en photo – devant la flamme et la croix, justement. J'ai conscience des conséquences que cela aurait, d'une nature ou d'une autre, si je révélais qui je suis. Mon français ayant quelque peu rouillé, on ne l'entend néanmoins pas dans un bref échange d'amabilités. J'aurais dû faire exprès de me déclarer. Mais je ne vois pas pourquoi.
Cet épisode n'est qu'un rappel de l'urgence que j'ai ressentie dans le temps de me soumettre à ce contrôle absolu et permanent d'éradiquer idéalement toute trace d'accent déviant de la norme.
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Le long de la Promenade Jacques-Baumel en contrebas du Fort, lui-même site militaire, je l'avais oublié. Puis, descente par des ruelles dans des quartiers d'un urbanisme sauvage. Il suffit de si peu, de sortir de Paris à si peu de distance, pour se retrouver sans repères, sans que le vocabulaire parisien fonctionnerait encore de la même manière. Tout fonctionne différemment. La logique urbaine n'est plus la même, et à nombre endroits, à quelque carrefour on se croirait dans des lotissements éhontés et décontextualisés de la Côte d'Azur. Certaines architectures me font trouver l'expression : du clinquant-toque.
Du côté de Puteaux, évocation de ce qu'ont dû être les anciens faubourgs de Paris, puis aussi : ambiance londonienne. Loin de tout, voilà la sensation que cela me fait. Loin de ma vie, loin de Paris. Il suffit en effet de si peu, de sortir quelques pas et quelque part hors de cette agglutination de sens et de formes intra-muros, il suffit de franchir ce mur devenu invisible pour voir que si, il existe et il divise, où que ce soit, ce monde en deux parties, le dedans et le dehors (souvenir de ce magnifique retournement des conventions dans La Haine de Mathieu Kassovitz quand l'un des personnages dit, alors que lui et ses copains, après une soirée passée dans Paris viennent de rater le dernier train pour rentrer chez eux : « Merde, on est enfermés dehors ! »). Mais ce dehors est vaste et multiforme. L'agencement de l'espace est si différent du dedans, plus libre aussi, avec tous les dangers que la liberté charrie, le danger du n'importe-quoi esthétique, par exemple. La patrimonialisation à la parisienne n'est pas de mise, ou peu, et seulement en partie, là où le tissu urbain ressemble le plus encore à ce dedans outre-mur, outre-périphérique. Là encore, d'ailleurs, un terme pensé depuis le dedans : le périphérique. Si l'on garde le mot mais regarde de l'autre côté, alors c'est en effet Paris qui devient la périphérie. Regard jadis pas prévu par le pouvoir, par le pouvoir des mots. Du genre : que ces sauvages osent porter un regard, eux, alors ça, non ! …
Dans le second chapitre de mes Cours particuliers, Sonia, le personnage portraituré, s'écrit : « Mais ce beau monde, […] ces dames et messieurs des beaux quartiers se comportent comme des colons dans leur propre pays. Sous prétexte de te vouloir du bien, que du bien, ah, ces cathos !, ils te dépossèdent et te chamboulent ta vie. T'es censée les remercier en plus, la pauvre redevable, oui, massa, oui, massa. Foutaises ! Qu'ils aillent se faire... ah, franchement ! »
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Retour par La Défense. Je m'approche des tours par en-dessous, suivant les échangeurs et entrant par cette immense dalle au sous-sol, une étendue ouverte comme la gueule du loup, à la lumière tantôt blafarde, tantôt tamisée. Frissons. Ici, Paris est vraiment contemporaine, bien que vieille de quelques décennies déjà, déjà en décrépitude par endroits. Mais ce ne sont pas tant les constructions en soi, c'est le geste qui rend la ville ici de notre temps, un geste inscrit dans la conscience historique, dans la conscience de soi. Sur le parvis, une construction temporaire couverte de tuiles traditionnelles fausse l'image, un ovni atterri et atterré dont la fragilité programmée de l'existence ne fait qu'accentuer les contrastes qui se superposent toute la journée déjà.
La ligne n° 1 du métro me ramène en trois fois rien à Saint-Paul. À la sortie, j'ai du mal à décider où je veux voir plus d'honnêteté l'œuvre, ici ou là.
Lectures :
« Être d'une ville c'est avoir, si peu que ce soit, cette faculté de donner vie à ces signes que j'évoquais plus haut. Être parisien ce n'est pas, comme on le prétend parfois, descendre d'une famille dont trois générations sont nés à Paris, ou faire valoir tout autre gage d'inscription, foncière par exemple, que nous donnerait une propriété immobilière héritée. C'est bien davantage, me semble-t-il, un sentiment de familiarité avec une certaine forme d'épaisseur urbaine, doublée d'une curiosité pour en déchiffrer les strates les plus profondes sans même chercher consciemment à le faire. »
La ville comme les nuages, Gilles A. Tiberghien, in : Les Cahiers de l'Ecole de Blois, n° 15, 2016
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« La vie urbaine est le produit de l'interaction permanente entre deux formes de la société, le social objectivé dans les choses et le social intériorisé par les personnes. »
Paris. Quinze promenades sociologiques, Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, Petite Biblio Payot, 2013
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Lecture de Qui a tué mon père, de Edouard Louis (Editions du Seuil /Points, 2018) :
Bref texte qui se dit roman. Roman autobiographique, au mieux. Le genre m'importe peu, ni celui prétendu, ni le réel. Soit. Ce livre a le mérite de nommer les choses et de mettre un projecteur là où l'aisance de la conscience sociétale n'a pas si volontiers coutume de s'éclairer. Cette lettre d'amour d'un fils à son père fait plusieurs prouesses : se dire d'abord, le dire en rapprochant le sort de l'un de celui de l'autre, alors apparemment antinomiques, puis inscrire les deux dans la logique d'une domination sociale, à la fois capitaliste et paternaliste, un aspect de la toxicité masculine. Tout cela en moins de 80 pages aux caractères plutôt gros. Le texte nomme, mais il ne dit pas tout, voilà une autre de ses qualités. Il installe des sous-entendus, notamment quant à ce qui motive le père réellement à rejeter son fils.
Telle une toile qui montre à la fois ce qui est à voir et ce qui la dépasse, à ce qui se passe en-dehors de son cadre. Qui a tué mon père, affirmation et question en même temps, réussit le défi de se dire et de se taire simultanément.
La lecture fait écho à mon propre cheminement qui a trouvé, après une jeunesse cloîtrée « dans les terres », jeunesse esseulée marquée par le rejet social et un foyer familial dysfonctionnel (pour rester euphémique), la ville, en l'occurence Paris, a été la planche de salut, la salvatrice matrice, bienveillante et sévère à la fois. D'où le titre donné à ce journal parisien en ligne, La grande gouvernante.
« Arriver dans une grande ville, c'est ne jamais arriver.
Même après cinquante ans, cent ans, trois siècles.
Le voyage a tant duré, que sa fin reste accessoire.
On apprend à habiter au fond de soi-même.
Le nomade possède la plus grande maison. »
K.D.
Son œil dans ma main, quel beau titre pour cette exposition à deux voix, à quatre yeux, sur l'Algérie 1961-2019 (à l'Institut du monde arabe). La date est à comprendre comme une parenthèse. Ce qui s'est passé en toutes ces années n'est pas documenté. Ce qui est mis en images, ce sont des scènes en 1961, puis en 2019. Les photos récentes témoignent toutefois de la durée, du temps écoulé depuis l'Indépendance, elles parlent des changements et des continuités. Raymond Depardon et Kamel Daoud se sont rencontrés dans ce regard croisé, dans les mots que l'écrivain cisèle autour des tirages du photographe. Mots insupportables de beauté. Dans l'entretien filmé des deux, projeté dans une salle annexe, Daoud dit des images de 1961 que le jeune Depardon – il a alors 19 ans seulement – a prises : « Tu n'as pas cherché à documenter la guerre. Tu as montré la vie. » Certainement une phrase clé à garder en tête quand on regarde ces clichés. Une chose me frappe : Français et Algériens, Européens et Nord-Africains, se partagent l'espace public, les arrêts de bus, les bancs du parc. Alger 1961. Avant l'Indépendance. Mais à peu de choses près, les images pourraient très bien montrer des vues d'une commune hexagonale, d'alors et d'aujourd'hui. C'est l'héritage qui nous reste : la mixité, le vivre ensemble, mais aussi la certitude que tout conflit majeur, que toute guerre envenime pour des générations cette vie multiple. Nous serons tous longtemps partis déjà qu'il sera toujours question de blessures héritées de la guerre en Ukraine.
« La guerre commence comme l'amour :
palpations du cœur, fouilles, méfiance,
tensions, barricades, défilés, cris.
Tout s'arrête avec les premières pierres,
les premières armes. »
Les corps, fiers. Les regards, fiers, sur les images. Daoud parle de l'élégance perdue dans l'Algérie d'aujourd'hui. Je pense à l'Allemagne. Les corps, un champs de bataille, à la vie comme à la mort.
« Les morts sont les seuls à avoir un corps puisqu'ils sont les seuls à l'avoir perdu. »
Plus tard : Île de la Cité, Palais de Justice. Tout d'un coup, la circulation s'arrête, deux policiers bloquent la rue, de leur corps défendant. L'autorité faite homme. Arrivent quelques motos, lumières bleues, coups de sifflets. Suivent une voiture blindée et deux camions de police aux vitres teintées. Sans doutes les accusés du procès des attentats du 13 novembre 2015. Un instant la vie se fige, tous les regards se tournent vers ces véhicules, on prend conscience... de quoi au juste ? Là-dedans, une raison, ou deux, ou trois du pourquoi la vie est comme elle est, aujourd'hui, dans cette ville, dans les esprits et dans les cœurs.
Dois penser à Virginia Woolf, à une scène dans Mrs Dalloway, tout au début, une scène semblable pour l'arrêt du temps, ce jour de juin 1923, quand Clarissa fait ses courses pour préparer sa fête du soir, est-ce bien la royauté derrière les vitres d'une voiture qui passe, quelque part sur Bond Street ?
« Passers-by, who, of course, stopped and stared, had just time to see a face of the very greatest importance against the dove-grew upholstery, before a male hand drew the blind and there was nothing to be seen except a square of dove grey.
Yet rumours were at once in circulation from the middle of Bond Street to Oxford Street on one side, to Atkinson's scent shop on the other, passing invisibly, inaudibly, like a cloud, swift, veil-like upon hills, falling indeed with something of a cloud's sudden sobriety and stillness upon faces wich a second before had been utterly disorderly. But now mystery had brushed them with her wing. »
Visite, enfin, du Mémorial de la Shoah. J'habite tout juste à côté. Le temps est venu d'y passer deux bonnes heures pour voir les deux expositions temporaires, Les Diplomates face à la Shoah et Homosexuels et Lesbiennes dans l'Europe nazie.
J'étais venu, sur ce site, il y a trente ans, et puis après.
L'exposition sur les diplomates : retrouve les noms de Varian Fry et d'Anna Seghers, autour d'un chapitre sur Marseille ; puis celui d'Otto Abetz, ambassadeur allemand à Paris, rapatrié à Sigmaringen avec le gouvernement de Vichy, exilé de force dans le château des Hohenzollern ; découvre d'autres biographies, comme celle de Jan Zwartendijk. Nommé consul à Kaunas, alors capitale de la Lituanie, il délivre, grâce à un tampon, des permis en grand nombre pour l'île caraïbe de Curaçao, alors colonie néerlandaise. Son aide de quelques mois seulement prend fin avec l'annexion de la Lituanie par les Soviétiques. Que ce mot de Curaçao pouvait, un bref instant, évoquer autre chose que l'amertume de l'alcool paraît comme une fenêtre lumineuse dans une histoire sombre.
Étonnement à lire que Ernst von Weizsäcker ait été responsable pour l'arrestation en France de bon nombre de Juifs ; ignorais ce volet de son parcours. Son fils, son avocat lors du procès de Nuremberg, est devenu en 1984 le sixième Président fédéral de la RFA. Son discours pour les 40 ans de la fin de la Guerre, l'année d'après, a été salué comme un tournant dans le rapport à ce passé allemand, pour avoir parlé du 8 mai 1945 comme du jour de la libération, aussi des Allemands, et non pas de leur défaite.
L'autre exposition : le parcours de ce qui est montré retrace essentiellement la situation en France et en Allemagne. Entrée directe avec Magnus Hirschfeld et son Institut de sexologie dans le Berlin des années « folles ». Une histoire d'émancipation et de persécution.
En prologue, un exemplaire du Code pénal allemand de 1871, en une édition de 1912, ouvert à la page stipulant le fameux § 175. Encore du temps de ma jeunesse j'ai entendu dire « Ah, lui, il est du 17 mai » pour faire allusion élusive à un homme dont on savait ou croyait savoir qu'il aimait les hommes. Pour dire le néfaste de ce paragraphe quand il pouvait à lui seul servir à résumer une existence.
Pierre Seel. Me souviens de la sortie de son livre, en 1992. Tout près du lieu d'exposition, une partie de la rue Ferdinand Duval a été nommée, je l'ai vu en arrivant dans le quartier, d'après ce témoin de la déportation des homosexuels.
La dernière salle, dédiée aux œuvres cinématographiques, parmi elles des extraits de Bent. Souvenirs indélébiles, d'abord en mes jeunes années d'un témoignage rapporté d'une mise en scène au théâtre de cette pièce de Martin Sherman, puis, vers la fin des années 1990, du film de Sean Mathias.
Ne pas méprendre une souffrance pour une autre. Se rendre disponible à recevoir les témoignages. Témoigner. Écouter. Humblement.
Si parfois, dans notre regard sur le monde et sur autrui, il nous manque l'empathie nécessaire – je me le dis à moi-même en premier - nous faisons bien, je crois, de traduire ce qui arrive aux autres à notre propre condition, en nous avouant notre talon d'Achille. Se rendre vulnérable, et regarder alors ce qui se passe en nous. L'admettre. Le supporter. Si alors nous ne sentons rien, nous sommes... mal barrés.
Rajout, J_trente-six :
Visite guidée de plus de deux heures ; guide excellent, d'une compétence exquise, et d'un savoir immense. Au sujet de Pierre Seel et de Guy Hocquenghem j'apprends ceci : les revendications de l'époque se basaient sur des présomptions qui permettaient de croire qu'il y a eu un nombre important de victimes homosexuelles du nazisme, voire qu'a eu lieu un génocide, comme l'aurait avancé Hocquenghem. La recherche entreprise par des historiens depuis aurait révélé un tableau bien distinct qui ne permettrait pas de parler de persécution systématique ni d'anéantissement de masse des homosexuel(le)s d'Europe.
Conférence, à Colonel Fabien, de Maria Candea, sociolinguiste, sur les accents en français, « Pourquoi devrait-on parler sans accent ? »
Par une sociologue et linguiste, je m'attends, avec un titre pareil, à ce que ce soit une question provocatrice. Et en effet, oui, en partie, c'est ce qui va se jouer tout au long de son exposé très vivant, maints enregistrements à l'appui. Les études et enquêtes qu'elle nous présente, à nous, public varié de non-spécialistes, je suppose, donnent lieu à des statistiques, à des déductions, et beaucoup à la confirmation de stéréotypes. Je me dis tout le temps : ce rapport à l'accent, aux accents qui sont, en France, toujours vécu comme un écart de la norme, ne traduit-il pas simplement la DNA de ce pays ? La domination de Paris sur le restant des régions ; d'une bourgeoisie, ancienne et de nouveaux-riches, sur les autres ? Il fait beau en France si le soleil brille... à Paris.
Est-ce que ces enquêtes ont été menées aussi dans d'autres régions de France ? Un Alsacien, un Breton, va-t-il ressentir la même chose face à l'accent marseillais qu'un Parisien. J'en doute. La discussion animée qui s'ensuit me montre que ce centralisme va de soi et qu'il n'est donc pas utile de s'attarder dessus. Ou alors qu'il est tellement intégré et qu'il est difficile de se rendre compte qu'on l'applique, ci présent, même dans ce qu'on croit être distanciation et critique.
L'ouvrage de Maria Candea, écrit ensemble avec Laélia Véron, vaut certainement la peine d'être lu :
Le français est à nous : petit manuel d'émancipation linguistique, éd. La Découverte, 2019
Ensuite, promenade vers mes quartiers d'antan, pour diner avec un ami, ancien voisin, dans l'immeuble qui pendant de longues années a été my home. En route: exquis paysages urbains, lumière pleine de promesses. Et le Conseil des Prud'hommes. Socio-géographie, encore. Et lieu évoqué dans la première histoire de mes Cours particuliers.
Tristesse. Grande tristesse ce soir. Et joie et bonheur à la fois. Devoir partir, un jour. Bientôt, à peine arrivé. Jouir d'être là. Souvenirs d'adieux, d'autres adieux. Dire au revoir à Paris, c'est comme prendre congé de la vie. Un long congé. Mais saluer Paris de la main au départ, c'est la promesse de se revoir, toujours ; et ce retour, sa promesse, un gage de vie.
Ce matin, relu des passages de mon manuscrit de premier roman, écrit en allemand ; traduit, cela donne à peu près ça :
« Il n'était parti que pour pouvoir revenir un jour. C'était cela : quitter un lieu afin d'y retourner et réaliser alors qu'il est un foyer, ce lieu, pas de la terre brûlée. Il t'attend. Et il te laisse rentrer, sans bouder. »
Avoir besoin de cette ville, malgré elle. Liberté d'air. Densité. Sens de tous les sens. Elle me fait être homme. Elle me fait être moi. Homme pour les hommes.
Je n'y crois pas, je tombe des nues : ai été en régression totale, ces dernières années, ce retour aux sources, ces autres sources, des racines devenues lianes, tentacules d'ennui, et castratrices, ces conventions d'un brave. La laideur de ce qui est renié. La stupeur de l'invisible. Miroirs aveugles. Me suis atrophié de plein gré.
Ici, je revis. Aussi simple que ça. Des regards comme des gouttes de pluie sur l'éponge asséchée.
Ému, ce soir, que l'émotion existe encore, pour moi. Toute ma vie, tout d'un coup, face à cette clé de l'éros, elle prend un sens. Du non-sens de ne pas l'avoir admis plus, plus tôt, plus fortement. Paris me sauve encore, une nouvelle fois. Et je dois, pour le piger enfin, l'apprendre par d'autres.
Un beau moment de lecture, de témoignages. Abdellah Taïa. Maison de la Poésie. Le regarder parler, l'écouter. L'entendre, je crois, j'espère. Je souris à me reconnaître dans ses gestes. Ses mains parlent. Les miennes, aussi. On me le reproche souvent, dans l'autre pays. Ça doit creuser l'écart. Visibles et invisibles.
J'aime ses propos affirmés. Il pratique l'amour par la franchise, par l'impitoyable regard critique. Envers la France, par exemple. Et il a bien raison. Pourquoi, d'ailleurs, n'ai-je pas trouvé ses livres, cette après midi – au magasin des quatre lettres – dans les rayons de la « littérature francophone » ? Francophone, pas française, c'était marqué comme ça ! Pourquoi les avoir mis dans le rayon « Afrique/Orient » ?
Faudrait se décider...
La francophonie, n'est-elle pas un lien rhizomique entre celles et ceux qui rêvent, qui vivent et écrivent dans une langue partagée, aux consonances similaires, avec des écarts, des particularités, des perspectives et des vécus distincts ? Ou est-ce censé être la fédération de satellites qui tournent autour de la planète-mère en s'inclinant, en révérence éternelle pour le si beau cadeau de la « civilisation » à laquelle l'accès aurait autrement, n'est-ce pas, pas été impossible ?
Faudrait se décider...
Il y a deux jours, dans un podcast sur la francophonie, entendu le concept qui existerait d'une francophonie du nord et d'une francophonie du sud. Le nord : la Belgique, la Suisse, le Québec. La France n'était même pas mentionnée. C'est clair, c'est la mère qui compte ses enfants (en oubliant le Luxembourg). Et le sud, ce serait toute cette sphère des anciennes colonies, un rapport moins « naturel »... Ah oui, vraiment ? Le Québec, pas colonisé ? Le nord de l'Amérique. Ah, pardon, oui, en effet, cette perte contre les Anglais dans la lutte pour l'hégémonie sur ce Nouveau monde, ça fait mal. Mais le Québec, ces cousins « à l'accent si charmant », n'est-ce pas, ils sont comme nous, enfin, presque. On a si bien réussi, sur ces terres, à massacrer, à éradiquer les populations indigènes qu'il n'en reste plus de boomerangs de mauvaise conscience, ou presque. Quantité négligeable, hein ? Des réserves. Mais de quoi ?
Puis, tous ces autres, ce grand sud global si peu contrôlable, tous ces sujets qui deviennent parole, parole affranchie, libérée, ah, vaut mieux, pour mieux les avoir à l'œil, les mettre dans des sous-catégories, encore et toujours, dans le rayon « Afrique/Orient », bien que ces voix-là écrivent en français.
Abdellah Taïa parle de son rapport à cette langue. Et il fait l'effort constant de traduire l'autre monde, le monde de son enfance, pour nous, son public. Savons-nous le reconnaître, l'honorer ? J'y vois une analogie avec ce qu'il dit sur sa mère, inspiration pour le personnage de Malika, héroïne du roman dont il est question ce soir, Vivre à ta lumière. Il refuse de voir cela comme un hommage. Non, dit-il, il ne s'agit pas de rendre hommage à la mère, mais de la rendre au plus près de la réalité.
On pourrait dire, rendre justice à cette justesse-là.
Devant la salle, nous l'attendons longtemps pour les signatures. Quand il arrive enfin, je suis le second à lui tendre mon livre, qui est son livre. C'en est un autre, celui que j'ai lu quelques jours avant, L'Armée du salut. Face à lui, à l'auteur descendu de la scène, je perds mes moyens, comme je perds toujours mes moyens face à quelqu'un à qui j'aurais tellement à dire. Pour me saluer, en premier, il me tend la main. La deuxième main que je serre en deux ans. Vraiment. Je suis démuni. Je suis le garçon timide des provinces lointaines, muet, stupide, en admiration. Au lieu de lui dire un mot gentil, le remercier de sa lecture, de ce qu'il a dit, je radote quelque chose de « ce livre pas acheté ce soir, chez le libraire présent, mais bon, ailleurs, et je pensais l'amener ici. » Il me demande mon prénom, et m'écris une belle dédicace. Il me rend ce roman, souriant, en disant « J'espère que vous allez aimer. » Trop de chose sur ma langue, non, dans la gorge plutôt. Pas le lieu pour entamer une conversation. Ne veux pas parler de moi. La file d'attente des autres. Je me sauve. Me sauve littéralement, d'une situation qui me dépasse. Dehors, l'air me calme. Comme après un examen quand on se dit tout ce qu'on aurait encore pu, ce qu'on aurait dû noter. Le regret du possible. Le livre dans la main, je rentre, heureux, plein d'entrain. Je suis arrivé, néanmoins. Arrivé à Paris. La ville m'accueille. Oui, j'espère que je vais aimer, encore, une fois encore. Je suis chez moi. Chez moi chez les autres. Nous ne pouvons être chez nous que chez les autres.
« L'AMOUR PRÉSIDENT », pas mal, « La République du désir », non plus...
Les élections, les présidentielles, j'étais censé écrire quelque chose, « couvrir » les agissements, les pronostics, l'ambiance qui règne. Voilà des idées qu'on peut avoir depuis l'ailleurs. Une fois sur place, autre chose s'impose, le soufflé ne prend pas, le regard est détourné. Et je m'étonne. Si peu de vibrations dans l'air. Dans l'air de Paris, qui n'est pas la France à elle toute seule, cette vielle.
S'il n'y avait pas les maigres présences d'affiches électorales, devant les écoles ou autres bureaux de vote en herbe, nulle trace. Nulle trace, vraiment ? Sauf d'aller fréquenter les lieux et espaces notoirement radoteurs de l'éternel semblable en la matière, les zincs et les médias. Mais dans la rue, à ma table, dans les fauteuils qu'on me prête, rien. Pas grand chose. La démocratie médiatique, ce terme semble s'appliquer plus que jamais. Jusqu'à ce que la rue se réveille et revienne en force. Le rappel du souverain dans ce pays ne se fait jamais trop longtemps attendre.
Depuis trente-cinq ans que je porte un regard sur cela, je vois plus de continuités que de ruptures. Tant mieux. Mais que la rupture puisse être possible, que le risque s'en impose, d'échéance à échéance, chaque fois un peu plus, et que le goutte-à-goutte de l'envenimement nous rende incrédules que la rupture soit réellement imaginable, voilà une continuité qui saute aux yeux. Comme en 2002, la guerre de chapelles d'une gauche désunie, ou plutôt, pour le rendre intelligible dans les mots, la guerre de tant de chapelles de gauche, atomise les voix de leur électorat que les candidat(e)s sortant(e)s pourront, pour se rafraîchir, se vaporiser sur les visages échauffés. Le roi est mort, vive le roi. Ou la reine.
Rien de ce que nous avons vécu, à l'échelle globale, ces dernières années nous a paru imaginable il y a vingt, trente ans. Gare à nous. Ça vaut mieux qu'un garde-à vous !
Puis, ces mots au fronton, sur la façade de la Samaritaine : TRAVAIL – CHASSE – AMAZONE.
Serait-ce là le slogan de demain, une actualisation de la trilogie républicaine revue une fois déjà, par un certain Maréchal ?
*
Dans l'après-midi, je tombe sur un documentaire, Il était une fois Marseille (par Hugues Nancy). Tiraillé entre vouloir le voir et me dire que mon temps à Paris est trop précieux pour cela, je passe les cent-dix minutes à dévorer les images d'archives exceptionnelles, presque toutes en couleur, et ce depuis les années 1900. Belle évocation d'une ville qui m'avait réservé une des périodes les plus néfastes de ma vie. Le film me livre de façon rétroactive le récit de notre incompatibilité, tout en brossant un portrait attendrissant de la ville, portrait d'autant plus saisissant que j'ai le loisir de le voir depuis Paris, allongé sur mon matelas de fortune qui ressemble de près, à même le sol, à ma literie marseillaise. Mais ici et maintenant, la fortune, pour de vrai, est avec moi.
*
Le soir, concert ! Festival ITALISSIMO, Maison de la Poésie : La Scapigliatura.
Là aussi, Paris est capitale : réunir les mondes, offrir, de par les corps et les esprits, des ouvertures sur l'ailleurs.
Salle de fumées ; câbles ; claviers ; micros. Une longue table : la cène. Surgissent du noir deux chevelures, deux barbes, deux voix, dans la mer de sons aqua-féeriques. Voix rauques et râpeuses ; canzone, capillare, cataclisma. Vibrations sous les pieds, les fesses ; rythmes robustes ; masculinité métisse ; frangins d'armes ; fête assise, salle conquise.
ITALISSIMO, deuxième.
Rencontre entre et avec Marta Barone et Daniele Mencarelli, annoncés tous deux comme des auteurs parmi les voix les plus prometteuses de la littérature italienne de nos jours. Toujours ces phrases...
Chacun d'eux propose avec son roman un récit autobiographique, fictionalisé. Daniele Mencarelli sur le séjour d'un jeune en hôpital psychiatrique, Marta Barone sur un père dont la biographie post-mortem était à réécrire.
Qu'ont-ils à dire sur l'écriture, et du rapport de l'écriture au « monde » ? L'autrice de Cité engloutie (à la fois Turin et son père qui en est indissociable, dit-elle) souligne qu'il y a toujours d'autres lectures possibles d'une seule et même histoire. L'écrire, la raconter d'une certaine manière en exclut les autres versions . Ce serait donc la situation du narrateur peu fiable, en fait il y aurait alors toujours un tel narrateur, car l'affirmation de ce qu'il dit cache l'incertitude des autres voix tues. Nous voulons tous être sauvé, le roman de Daniele Mencarelli, fait apparaître autre chose : il faut plus d'un seul langage pour se parler, pour vivre, pour témoigner de notre condition humaine. La psychiatrie ne peut pas en être la seule. La poésie, il faut de la poésie ! Le drame de notre temps serait, dit-il, la vision purement biologiste de la psychiatrie, ce qui nous réduirait, en fin de compte, à un morceau de chair. Un vrai danger sociétal de devenir tous fous, si ces autres langues manquent, si l'importance de la parole n'est pas adressée. Prendre la parole, dire. Ce qui rejoint les préoccupations de Marta Barone. Pour elle, la question de l'altérité se pose aussi et surtout dans la transmission. Qu'est-ce qui se transmet dans la mémoire, dans ce dont nous nous souvenons de l'autre ? Dans la transmission, ce qui compte c'est de savoir si c'est par mensonge qu'on cache quelque chose aux autres, ou si c'est par omission pour préserver ceux qu'on aime.
La parole de Daniele Mencarelli, elle, coule à flot. L'interprète, heureusement, a très bonne mémoire et elle sait rendre sans faille de longs passages de pensées. Chapeau !
Je pars avec un exemplaire signé de Tutto chiede salvezza. Nouvelle aventure avec l'italien ? Me laisser guider et bercer par les mots, les lire et lire encore jusqu'à un jour me rendre compte que le sens s'ensuit ?
Changement de scène. Musée du Quai Branly. Week-end d'événement « L'ethnologie va vous surprendre ». Projection du film documentaire/film essai KONGO, de Hadrien La Vapeur et Corto Vaclav. Au centre, l'apôtre Médard. Tout comme ce week-end spécial le film regarde et tente de penser l'invisible. Je lis ce que je vois dans la continuité de l'après-midi avec les deux auteurs italiens. Il y a toujours d'autres manières de voir/lire/raconter une histoire. Toute croyance est invention. La littérature est invention, reliant le réel au fictionnel.
Ici, l'apôtre Médard parlera lui-même, après la projection, de traditions, chassées, interdites et supplantées par le catholicisme des blancs. Toute société s'équipe de ses coutumes, donc aussi de ce que nous appelons réalité, qui elle-même, dans ce qui la rend réalité sociale, sociétale, est le fruit d'un acte d'invention, fictionnel.
J'ai regardé ce film et ce qu'il montre, la guérison, la tradition animiste, la quête de réparer les déséquilibres entre les hommes, à travers un acte de traduction, ce qui l'a apparenté à un reportage sur la Semana Santa en Espagne ou même les Jeux de passion d'Oberammergau. Une convention sur laquelle un groupe donné s'est mis d'accord. Et les désaccords sont alors traités à l'intérieur même de cette convention. Cela va être de même avec les élections dimanche, la convention de croyances d'un État laïque. Avec toute l'importance que cela va avoir.
dimanche
10
avril
2022
Élections
présidentielles
premier
tour
Plus de files d'attente devant nombre de boutiques du Marais que devant les bureaux de vote. L'un n'empêche pas l'autre. Espérons que l'un ne va pas au détriment de l'autre.
*
ITALISSIMO, troisième, puis quatrième et dernière :
Enfin, le plaisir retrouvé qu'offre Paris d'aller au cinéma à 11 heures du matin. Il fait beau dehors, peu importe. Il fera beau encore plus tard. À l'écran, dans la salle obscure : La Macchinazione, de David Grieco (2016). Pasolini et les agissements, les complots qui ont mené à son assassinat. Massimo Ranieri, le chanteur populaire et acteur dans le rôle de l'écrivain, lui ressemble beaucoup. Le film capte bien son époque – vue d'aujourd'hui : une liberté qui se débat dans un verre d'eau, sous cloche, en quelque sorte –, et l'ambiance qui s'en dégage renoue avec l'imaginaire des textes de Pasolini.
Puis, dans l'après-midi, Pasolini, notre contemporain, débat avec les écrivains Pierre Adrian (en direct) et Emanuele Trevi (par visioconférence). Il est question de role model, plus que de maître à penser. Trevi recommande la biographie par René de Ceccatty, Adrian le recueil de poésie La Persécution, qui traduirait bien l'angoisse, la tourmente mais aussi la provocation de la dernière phase de la vie de l'auteur.
Deux jours après, je me procure ces deux volumes. Sur le quatrième de couverture de la biographie, cette citation de Pasolini :
« Ceux qui comme moi ont eu le destin de ne pas aimer selon la norme finissent par surestimer la question de l'amour. Quelqu'un de normal peut se résigner – quel mot terrible – à la chasteté, aux occasions manquées : mais chez moi la difficulté d'aimer a rendu obsessionnel le besoin d'aimer : la fonction a hypertrophié l'organe, alors que, dans mon adolescence, l'amour me semblait être une chimère inaccessible. »
Dans le poème même de La persécution qui donne son nom au recueil, ceci qui me frappe :
J'écoutais la vie depuis ma survie.
Mais elle m'était toujours précieuse, cette vie !
cette vie de toujours, sans haine et sans
amour, perdue dans sa forme infinie !
(...)
*
Entre les deux « friandises Pasolini », le Panthéon !
Visite fortuite, mais finalement très à propos.
Jamais encore entré là-dedans, jamais été prêt à payer un droit d'entrée – pour visiter. Avec ma carte « Sésame-ouvre-toi », la donne a changé, j'ai du temps, je suis tout à côté. Maintenant ou jamais. Jour des élections présidentielles. On ne peut plus bleu-blanc-rouge, j'y vais.
Mon bilan, au risque de ne pas me faire des amis, en est, à la sortie, celui-ci :
Lecture de l'histoire – je dirais même narration étatique de l'histoire – très problématique. C'est de la récupération et de la manipulation. On récupère le mérite des individus à des fins politiques, alors que les individus, ceux qu'on célèbre, avaient déjà, à priori, mis leur travail, leur action au service d'autrui. On pourrait donc présumer que le compte était bon, que tout le monde, dans ce dialogue, avait trouvé satisfaction. Pas tous, visiblement. C'est de la récupération des morts. Des morts qui ne peuvent plus se défendre. Je ne suis même pas sûr que ce ne soit perturber le repos des morts. Et d'où l'on prend la certitude que certains des célébrés n'auraient pas senti diminués voire déshonorés leurs réussites, leurs mérites à se voir, eux, exposés de la sorte ? C'est s'arroger beaucoup d'outrecuidance que de croire en la croyance de tous pour donner leur aval, pour avaler le bienfondé d'une telle démarche. Cette mise en scène, pérenne, donc aussi contemporaine, n'est pas de notre temps. Elle n'est même pas d'hier. Mais hors du temps. Et surtout hors propos.
Un temple du grandiloquent.
Du carton-pâte pour le peuple. Et pour ceux qui le guident...
De l'art pompier (pas Puvis de Chavanne, d'accord !), au service du pouvoir. Comme tant de grandes machines telles qu'elles sont célébrées à Orsay, aussi. Tout cela ne fonctionne que s'il y a croyance, si ensemble l'on suit le pathos, si chacun (enfin, un nombre suffisant) l'a intégré en soi, en sa propre lecture de l'histoire, en tant qu'héritage culturel, donc. Mais un héritage alors peu questionné.
« Ceci n'est pas ma France. », voilà ce que j'écrirais sur la peinture que de ce lieu je ne ferai jamais. Trop bruyant, trop criard, trop... trop martial... Comment le dire ? C'est faire chanter l'honneur des grands esprits par des bottes en cuir. C'est un peu ça... Du coup, ça fait, en comparaison, paraître bien sympathique sa petite sœur, la Légion d'honneur...
Et le pompon : Kiefer ! Faire appel à cet artiste n'est pas un hasard, et la présence de ses œuvres au sein de ce sanctuaire profite aux deux côtés. Du gagnant-gagnant. Le fait que Kiefer soit allemand, et son art aussi, facilite la tâche au gouvernants d'ici de faire dorer leur geste de lui tendre la main en l'invitant, en le conviant dans le cercle des Grands. Quant à Kiefer lui-même, ce qui m'a toujours laissé dubitatif, ce qui ne m'a jamais convaincu, c'est son geste grandiloquent, justement. Ça manque de modestie, ça manque d'intériorité. Vouloir s'inscrire en faux contre le monumental, notamment de l'esthétique nazie, du geste dictatorial, alors que sa propre réponse, dans l'essence même de son geste, du choix de son langage, de ses matériaux, du format de ses œuvres, n'en diffère guère, me paraît une contradiction indissoluble. Et un leurre de vouloir faire de ses pièces une chapelle expiatoire.
Le choix de la France, pour lui, pas un hasard non plus. Terre fertile, le Panthéon en est la preuve ultime, pour un tel propos de la démesure. Dans l'Allemagne contemporaine, ça ne marcherait pas, ça ne marcherait plus, pas comme ça. L'État se verrait face à une panne d'explications, faute de discours justificateur. Alors qu'ici, il me semble en place, de fait, ce discours.
Différentes histoires, différents rapports à l'histoire. Rupture consommée, rupture récusée.
Kiefer au Panthéon, oui, avec ses œuvres, il est exactement là ou son travail prend tout son sens.
Soirée, encore, à la Maison de la Poésie. Ce lieu-là est en passe de devenir mon deuxième séjour !
LE PROUSTOGRAPHE. Proust et À la Recherche du temps perdu en infographie, par Nicolas Ragonneau.
N'avais pas fait le rapprochement. Avais vu le livre à l'occasion de la visite au Musée Carnavalet. Sans le comprendre, sans chercher à le comprendre. Ce soir, belle révélation. L'auteur et son graphiste sont bien préparés, l'ambiance est concentrée et décontractée à la fois. Sur grand écran, ils projettent des double-pages simplifiées qui se remplissent au fur et à mesure de ce qu'ils disent tous deux, de ce qu'ils expliquent de la manière de procéder, de quantifier et de visualiser les informations. Proust en chiffres et en graphiques, il y a en effet pas mal à en apprendre. Sur les noms communs et adjectifs les plus utilisés, par exemple. Et là, coup de tonnerre, ce sont les plus... communs, justement. Mais ce qui distingue les textes, ou LE texte plutôt, des autres, des productions d'auteurs contemporains comme ceux d'avant et d'après Proust, c'est la fréquence de phrases plus longues que la moyenne. Les phrases proustiennes vont d'un seul mot à pas loin de mille mots, mais plus de la moitié des phrases comptent plus de 50 mots, un multiple des phrases moyennes auteurs.
Puis, nous voyons des graphiques avec les animaux les plus mentionnés dans le texte, ou encore le découpage de deux têtes en profil, Françoise et Albertine, avec le pourcentage d'influences de personnes réelles sur le caractère fictif de la protagoniste respective.
L'approche est novatrice et le résultat aide à mieux y voir clair, dans cette oeuvre, dans cette vie, soit depuis l'intérieur, en connaissance du texte, soit depuis le dehors, papillonnant autour, cherchant le bon angle d'entrée en matière. Le plus simple et le plus évident restera sans doute de commencer par le commencement.
Une véritable encyclopédie visuelle, ce Proustographe, qui donne bien envie de poursuivre la découverte du continent à six lettres.
Longue promenade depuis la Cité des arts jusqu'à la Médiathèque Marguerite Yourcenar, dans le 15ème. Passant par le Jardin du Luxembourg, le Cimetière Montparnasse, le quartier de la Place de Catalogne, Pernety, puis Falguière, Vaugirard.
Mon regard se met en état d'alerte à partir de la sortie du cimetière. J'arrive tout doucement dans le quartier (Pernety) où j'ai vécu pendant un an, du printemps 1990 au printemps 1991. Ici, Paris me rappelle que les 40 % du bâti de cette ville datent du temps d'après 1945. Barres, béton, lignes. Puis, la Place de Catalogne. Elle apparaîtra dans le chapitre Nattes blondes de mon livre Cours particuliers :
« De sinistres citations des Anciens, du béton coulé au mètre cube, des pilastres et balustrades, des corniches et des formes biscornues pour lesquelles je n'avais pas de mots en aucune de mes langues. Et je ne voulais pas me fatiguer à y réfléchir. J'avais compris, j'avais enfin compris. C'était le retour des immeubles Place de Catalogne ! Ces monstres 'post-tous-les-ismes', du 'facho-crème-montée', des machins au-delà du bien et du mal. Surtout du bien. Tu pouvais être de la meilleure humeur qui soit, là, à cette place, tu allais la troquer, pour sûr, contre la plus efficace des crises de nerfs. Je me suis précipité dans un bus, qu'il m'enlève de là, vite. »
Église Notre-Dame-du-Travail, une construction, à l'intérieur, en fer, genre Tour Eiffel. D'ailleurs, les expositions universelles se tenant au Champ de Mars, on avait logé dans le 14ème les ouvriers chargés d'œuvrer à ces manifestations. Cette église, remplaçant Notre-Dame-de-Plaisance, s'est construite pour eux. Une partie des matériaux de construction proviendrait du Palais de l'Industrie, de l'exposition de 1855, et du Pavillon des tissu de 1900. La cloche, elle, survivante de l'ancienne église, est un butin de guerre (de 1854), de Sébastopol (donc de la guerre de Crimée !), et un cadeau de Napoléon III aux habitants de ce qui est devenu plus tard un quartier de la capitale...
Je passe dans la rue de mes vingt ans. Sur la façade de l'immeuble, la plaque commémorative pour Louis Saguer, plaque apposée à mon initiative. Ma première année à Paris : sous la bonne étoile de ma rencontre avec Louis chez qui je logeais comme sous-locataire. Cadeau de la vie. Une des rencontres les plus importantes et décisives de ma vie. Je ne dirais pas plus ici que ceci : ceux qui sont restés après la mort de Louis, son compagnon de quelques décennies et une poignée d'amis, n'avaient plus grand chose à se dire, sans lui, sans lien. C'est avec l'héritier et l'exécuteur testamentaire, et avec deux autres amis que j'ai, à l'avènement du centenaire de sa naissance, évoqué la possibilité d'apposer une plaque en souvenir des années que Louis a vécues, le plus modestement, à cette adresse. Personne n'était contre, du moment que je m'en chargeais. Je m'en suis donc chargé, et c'est un ami marseillais, sculpteur et graveur, qui a confectionné la plaque, en une pierre des Calanques de Cassis. Une fois qu'elle a été posée, des voix parmi les quelques autres amis se sont levées pour exprimer leur désaccord, avançant que jamais, jamais Louis n'aurait voulu d'un tel cirque. C'est fort possible. J'en avais eu conscience. Mais à l'époque je voyais la chance de pouvoir contribuer à œuvrer contre l'oubli, et en admettant que Paris était fait de cela aussi, de ces signes de mémoire, et que c'était à Paris qu'il avait bien choisi de vivre, Louis, dès les années 1920. Mais je pense aussi qu'il faut pousser certains, amicalement, à sortir, même à titre posthume, de leur retranchement, et que nous, ceux qui étions d'accord, nous voulions nous soucier de sa mémoire, avec le but que sa musique soit jouée. Nous marquions donc aussi notre affection.
Depuis, je me suis longuement interrogé si j'avais eu tort, s'il avait mieux valu ne rien entreprendre. L'obéissance aveugle, en allemand, ça se dit Kadavergehorsam, donc obéissance qui va au-delà de la mort. Si l'exemple de vie que Louis m'a transmis a bien ancré en moi une conviction profonde, c'est alors la leçon qu'il faut s'affranchir du passé, qu'il faut agir, œuvrer, avancer.
La plaque a le mérite d'exister. Et ceux qui passent devant et qui la lisent, les curieux qui vont vouloir apprendre à savoir qui c'était, ce Louis Saguer, ils n'en savent rien de ces guéguerres d'opinion. Ils ont une chance de découvrir par leur recherche la musique de cet « anonyme du XXème siècle », comme Louis Saguer aimait à se qualifier lui-même, certainement aussi au nom anonyme des autres oubliés, de ceux que le siècle avait anéantis.
À mon sens, cette découverte de sa musique, il n'y a que cela qui compte.
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Par le Square de l'Abbé Lemire (que l'on considère être le père du mouvement des jardins familiaux en France, alors qu'il n'a fait que reprendre et s'approprier l'initiative d'une citoyenne de Sedan, Félicie Hervieu. Voir aussi mon essai Des Jardins extraordinaires, in: Les Cahiers de l'École de Blois, n° 19, printemps 2021), en passant par la Place et la rue Falguière, longeant l'Institut Pasteur. La photo du chercheur, devant l'Institut où il a œuvré et vécu, donne à lire, je ne le découvre qu'après coup, l'inscription au fronton. La tête du buste camoufle une partie des lettres, ce qui reste, c'est INSTITUTEUR...
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Le soir, je suis une conférence, FINLANDE, transformer la ville. Sont annoncées, pour parler de leurs expériences respectives, Milla Bruneau de Lahti et Magali Talandier de Grenoble. C'est la ville de Lahti, à moins d'une heure au nord de Helsinki, qui m'intéresse. Capitale verte européenne en 2021, la ville de 120.000 habitants compte devenir neutre en carbone en 2021, ce qui sera 10 ans avant le reste de la Finlande, et 20 ans avant l'Union Européenne ! Forte d'une économie circulaire, 99 % des déchets ménagers sont valorisés. Milla Bruneau, conseillère municipale et chargée du programme de l'année passée, livre un témoignage percutant. Il faut une volonté politique, et il faut la communiquer, tout le temps, encore et encore, s'entretenir avec tous, aussi avec ceux qui sont contre un tel projet de transformation, d'un effort commun. À l'automne, je vais aller visiter les lieux, depuis ma résidence de Helsinki !
Le livre acheté à la librairie-boutique du Panthéon : Nos langues françaises, des témoins invités par Leïla Slimani. La quatrième de couverture :
« … racontent leurs langues françaises. Librement, sous forme de nouvelles, de récits intimes, textes autobiographiques, illustrations ou photos, chacun raconte sa langue française, la place qu'elle occupe dans son histoire personnelle et dans son quotidien mais aussi le rôle qu'elle joue dans notre société... le français semblant parfois être l'un des derniers refuges de cette devise en forme de promesse: Liberté, Égalité, Fraternité. »
Je découvre la contribution d'André Marcowicz, traducteur de russe et poète. J'avais vu, il y a peu, le documentaire Markowicz, appartement n° 7, par Bérangère Jannelle. Puis, dans les couloirs de la Maison de la Poésie, lors de la soirée PROUSTOGRAPHE, je l'ai entraperçu, lui, André Marcowicz, se préparant pour l'autre soirée sur place, sur les poètes russes.
Dans le livre sur les langues françaises, il dit des choses très pertinentes sur la traduction, sur l'apprentissage après-coup, ou encore ad hoc, des langues. Aussi, après un long paragraphe sur l'allemand et la naissance, d'après lui, de la nation allemande grâce à la traduction, de Shakespeare par Schlegel et Tieck, grâce à Klopstock faisant usage de la métrique grecque, en général grâce à la prise en compte de l'héritage européen, il poursuit :
« La tradition française est de rendre français. Autant que je suis un partisan convaincu de l'intégration, d'un point de vue citoyen et politique, autant je considère que la mise en premier plan des appartenances communautaires, c'est-à-dire des différences avant celle des point communs, est désastreuse sur le long terme, autant je me dis que la traduction permet de faire la part des deux – à part égale. La traduction peut faire entendre la présence de l'autre, en tant qu'ami et en tant qu'autre. Ce n'est pas à l'auteur traduit de faire un chemin quelconque vers nous, – c'est à nous de savoir, en français, rendre sa présence non seulement possible mais désirable, c'est à nous de changer l'usage du français, d'imaginer des intonations nouvelles, différentes, qui le permettent. C'est au français de changer. »
L'incubation qu'il évoque par ailleurs, la période de latence, alors qu'il est, transplanté depuis la Russie de sa petite enfance pour poursuivre sa vie en France, mis de suite à l'école sans pour autant pouvoir sortir ne serait-ce qu'un seul mot pendant des semaines, un seul mot de cette autre, de cette nouvelle langue, je l'ai connue, moi aussi. Essentiellement avec l'espagnol, pendant le premier mois de mon séjour à Cuba, alors que j'avais trente ans passé. Un beau matin, je me suis étonné à répondre, en espagnol, à une question bien précise, comme si de rien n'était.
Avec le français, c'était différent, plus complexe, bien plus fort aussi, au point d'en faire, à mes vingt ans, ma première langue, par rétroaction.
J'en avais appris des rudiments à l'école, en deuxième langue étrangère. C'est certainement pour cela que je m'insurge quand on ose encore aujourd'hui me renvoyer à cela, à ce stade scolaire, en Allemagne, pays où l'on pratique à cœur joie la mise à plat de toutes les envolées lyriques, où l'on s'amuse à percer les magnifiques bulles d'air du soufflé qui fait la féerie et la beauté de notre existence – afin de prouver qu'il n'y ait que le tangible qui vaille... Mon français à moi est alors volontiers traité par certains comme des « connaissances en langues étrangères »...
C'est au bout de quelques mois à Paris, en hiver 1989/90, alors encore incapable d'acheter dans une boulangerie autre chose qu'une demie-baguette, mais bien à même de connaître les problèmes des agriculteurs du Languedoc, je me suis mis à rêver… en français. Je rêvais de mon enfance, et de ma jeunesse tout juste abandonnée, laissée derrière moi tout comme le pays. Aussi bien moi que tous les autres, mes parents, mon frère, des figures annexes, nous nous parlions alors en français, en un français des plus limpides, d'une fluidité et perfections telles que de jour je n'approchais même pas de loin. C'est l'époque où je travaillais à éradiquer tout accent, restant de longs moments face au miroir pour mieux contrôler la concordance des mouvements de ma bouche et des sons qui en sortaient. Toute mon énergie, je la mettais dans cette surveillance de la moindre intonation, cherchant à adapter le choix des mots si j'en découvrais un dont la prononciation me semblait ne pas me réussir. Surtout les formules courtes de salutation, de remerciement ou encore des questions pour demander mon chemin, il me fallait les soigner au point de ne pas me révéler, ou, comme je le ressentais alors, me trahir. M'exposer au regard et aux opinions d'autrui à qui j'aurais livré, ainsi le croyais-je, et probablement pas à tort, une seule et unique clé de lecture, une paire de lunettes teintées à travers laquelle me percevoir, bref, une caractéristique à laquelle me réduire. Ce qui aurait pu être perçu par d'aucuns comme une particularité qui me distinguait des autres, me rendant peut-être même plus attrayant, ne provoquait à moi qu'un sentiment d'effroi de ne pas pouvoir rencontrer l'autre à hauteur égale, en tant qu'autre en soi, et non l'autre comme étranger, comme celui vers qui le gouffre paraîtrait insurmontable.
Aussi, le français m'est devenu ma langue du cœur, et pour le dire de manière prosaïque, de l'érotisme et du cul. Mon vocabulaire s'est vu constamment élargi, exemples à l'appui... La difficulté que je pouvais rencontrer de dire mon amour, elle ne trouvait pas son origine dans un manque de mots. Je crois plutôt qu'il était dû, ce malaise-là, à mes sentiments qui étaient trop confus, ou qui n'étaient pas.
Les dire en allemand : impensable ! D'ailleurs, je n'ai jamais aimé en allemand.
Le français, également langue de ma formation intellectuelle. En cours, à la Sorbonne, le peu de temps que j'ai poursuivi des études dans un cadre institutionnel, puis, toutes les années de suite, par la lecture et les échanges, et, surtout le soir et dans la nuit, à l'écoute de France Culture, mon université à moi. Du jour au lendemain, d'Alain Veinstein, les rencontres, après minuit, avec, chaque nuit, un autre auteur, une autre poétesse. Les paroles distinctes, lentes ou accélérées, la pensée en train de se faire, les mots à l'état naissant, sans peur du silence, des secondes, précieuses, d'un crépitement nocturne.
« J'écoute le chant de l'oiseau non pour sa voix, mais pour le silence qui le suit », dit un proverbe chinois.
Je ne me souviens pas de jamais avoir eu, en français, de grandes difficultés pour saisir les principes de la syntaxe. Je n'ai pas, autant que je me souvienne, trop essayé de passer par l'allemand, de comparer. Une bonne partie du français, je l'ai apprise comme un enfant, par imitation, par répétition. Ce qui peut encore aujourd'hui, s'il s'agit de traduire par-ci, par là un bout de texte, mien propre ou alors d'un autre, m'obliger de passer par le dictionnaire, alors que je comprends parfaitement tout, en français, et une fois le mot allemand trouvé à son entrée, celui-ci aussi. Mais le pont menant de l'une à l'autre des langues, le clic, la synapse, voilà ce qui ne s'est jamais bien installé. Le câblage n'a pas été fait.
Force est de constater qu'après une quinzaine d'années d'absence, pendant lesquelles j'ai certes pratiqué le français, mais non au quotidien, pas comme langue principale, l'accent semble, à ma grande surprise, désormais au rendez-vous. L'accent, entendu à la française, comme un écart de la norme, et non pas comme une manière propre à soi, individuelle. La langue, le morceau de chair dans ma bouche, est devenue pâteuse, lente, lourde. Je remarque ne plus avoir l'aisance d'antan. Mais l'avais-je vraiment, cette aisance dont j'ai toujours été fier, dont j'ai pu faire commerce ? Peut-être ma perception, mieux : mon souvenir de ce qui a été, me trompent-ils, me jouent-ils des tours, se jouent-ils de moi ? Il me fallait y croire, à l'époque, pour pouvoir survivre, pour me respecter, oui, pour me permettre à m'aimer. Et si ce n'était pas vrai, si les compliments qu'on me faisait à propos de mon français n'ont été que flatterie ?
Toujours est-il, j'ai reconquis mon allemand. Je me suis réapproprié cette langue, son vocabulaire, sa beauté, son extrême malléabilité. Si c'est au prix d'un français quelque peu « étrangéisé », soit. Je sais faire face, aujourd'hui, aux projections possibles et probables auxquelles les autres me soumettront, peut-être, sûrement, car j'ai su m'approprier aussi, ces quinze dernières années, une identité allemande à moi, remplir ce terme de sens, d'un sens choisi et acquis par un acte de volonté, au lieu d'être défini, moi, par un concept hérité, transmis sans avoir été consulté au préalable. Notre héritage, pour chacun de nous, est toujours une identité malgré moi. Je crois beaucoup aux corrections, à ce pouvoir que nous avons sur notre propre être, de le rectifier, de l'améliorer, de l'ajuster. Le prétendu « naturel » n'existe pas. Mais parfois nous sommes attirés par une part de nous qui se trouve hors de nous, et nous tentons et tendons à l'intégrer, à la gagner, à nous pencher vers elle pour créer notre équilibre. Le français, pour moi, a été cette part-là.
Après tant de déboires, tant d'angoisses, tant de cruauté envers moi-même pour me parfaire, pour nier une autre part de moi, elle a la chance, maintenant, d'être multiple, cette identité qui passe par les langues. Une identité simultanée, joyeuse.
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L'après-midi, visite d'un lieu insolite, hors du temps, mais bien sur mon radar. La visite, elle renoue avec ce que j'ai raconté le jour J_dix, autour de la Légion d'honneur et l'Hôtel de Salm. Me voilà au Cimetière de Picpus, l'un des deux cimetières privés de Paris, l'autre étant celui des Juifs portugais dans le quartier de la Villette.
Un portail en bois, rue de Picpus, derrière l'Hôpital Rothschild, face à un garage Renault. Une chapelle, une cour pavée, un puit. Puis un pavillon Louis XIII. De part et d'autre de l'entrée, de coquettes maisonnettes, un bout de jardin. Accueilli par une dame qui connaît bien son sujet, qui a le plaisir du partage, de l'échange. Équipé d'un plan, je pars vers la chapelle. Dedans, un mur entier dédié aux guillotinés de la Terreur, enterrés dans les fosses communes du cimetière adjacent. Assis sur les bancs, épars, trois jeunes hommes en prière. Vue rare. Des hommes de tous les jours, habillés « en civil », pas des croyants professionnels.
Je longe le mur de l'ancien jardin des chanoinesses de Saint-Augustin, monastère récupéré par la Révolution. Sur deux hectares (!) s'étend un oasis d'une luxuriante végétation, enchâssé, semble-t-il, dans un urbanisme coupé net aux murailles. Allées et parterres de fleurs, pelouses et pergolas, rosiers et poules, grilles et pallisades. Tout est humecté de gouttelettes de pluie, resplendissant, gras de beauté. La notion de temps se perd, la conscience d'être en plein milieu du Grand Paris, elle aussi. Deux autres visiteurs me précèdent, sinon, le lieu est à moi, cette heure durant quand j'oublie qui je suis. Quand je marche sous le feuillage, quand j'explore les recoins de ce qui m'apparaît comme les vestiges d'une ferme royale, campagnarde, lointaine. Tout au bout, une grille, bleue, entrouverte. Le cimetière.
Espace étonnant, intimiste. Les noms se lisent comme le gotha français, comme un livre ouvert : La Rochefoucauld, Montmorency, Polignac, de Noailles, Montalemebert, Saint-Simon... Mais aussi, voici mon motif : de Beauharnais, Alexandre (le premier mari de l'impératrice Joséphine) et de Salm-Kyrbourg, Frédéric, qui avait commissionné la construction de son Hôtel de Salm, l'actuel siège de La Légion d'honneur, et frère d'Amélie-Zéphyrine, la princesse de Hohenzollern-Sigmaringen, ancêtre de la famille royale belge, et de nombre d'autres membres de familles royales d'Europe.
C'est ici, dans la fosse au fond de l'actuel cimetière qui, par la suite, a été aménagé autour, que ces deux hommes chers à Amélie ont été amenés, l'été 1794. Guillotinés Place du Trône-Renversé (l'actuelle Place de l'île de la Réunion, près de Nation), là où se trouvent les Colonnes, les corps de quelques 1300 personnes sont acheminés sur des chariots jusqu'au jardin des chanoinesses, le portail dans le mur du fond existe toujours. Dépouillés, déshabillés, ils sont jetés dans la fosse. Quand la première est pleine, on entame une seconde. Amélie-Zéphyrine réussit à en connaître l'emplacement exact. Sous le couvert de l'anonymat, elle achète les terrains. Une souscription des familles concernées collecte les fonds pour acquérir tout le jardin des chanoinesses, puis on y fait aménager, une fois la Terreur retombée, ce cimetière. Jusqu'à nos jours peuvent s'y faire enterrer les descendants et parents des guillotinés, l'inscription la plus récente que j'ai découverte date de l'an 2020. Cette règle explique aussi la présence de la tombe du général La Fayette, citoyen d'honneur des États-Unis pour avoir joué un rôle décisif dans la Guerre d'Indépendance, et d'où l'incongrue présence du drapeau américain. L'épouse de La Fayette, Adrienne de Noailles, et des membres de sa famille sont enterrés tout près.
Lieu d'une violence inouïe converti en havre de paix. Un pari dans Paris. Un mémorial. Mais nous savons pertinemment que le souvenir, hélas, ne fait pas barrage contre de nouveaux excès de terreur. Faire son laïus ne fait pas disparaître la menace. Seul mon comportement à moi, en franchissant le seuil, au retour dans la ville, peut contribuer, ici et maintenant, à influer sur le climat, le climat humain entre humains.
Voir l'autre, l'entendre, lui céder la place, lui sourire, ne pas le vivre comme obstacle, moins encore comme adversaire. Mais comme autre miracle vulnérable, comme autre préciosité en voie d'extinction, comme une part d'humanité partagée.
Dans les actes, pas seulement dans les mots. Car les mots, c'est facile.
Exposition d'une exposition d'une exposition. C'est une pratique dite culturelle pendant laquelle des visiteurs sont invités à déambuler dans un espace dédié, et à regarder ce qui y est montré. Des ostensoirs laïques. Pratique toujours vivante au XXIème siècle. En l'occurence, l'espace – deux salles – se situe dans un lieu appelé musée. C'est un musée appelé « d'Orsay ». Orsay d'après la ville, quelque part au sud de cette autre ville, connue comme Paris. Là donc, où se situe ce musée. Musée qui au départ n'en est pas un, car les départs, justement, et les arrivées, voilà sa raison d'être. Une gare, c'est comme cela que se nomment ces lieux d'une autre pratique culturelle, le fait de passer vite, sans s'arrêter vraiment. On peut observer, entre l'une et l'autre de ces pratiques, des similitudes, des recoupements, parfois même une superposition qui rend impossible de les distinguer. Les annonces par haut-parleurs d'une voix qui enveloppe, qui ensevelit tout l'espace ; l'ennui ; l'attente. Mais dans cette pratique du musée, on peut aussi observer une clientèle, locale et internationale, aux mœurs similaires à ceux de tous ces personnages représentés sur des surfaces peintes, dites tableaux, ou en tant que formes palpables mais défendues de toucher, figées dans de la pierre, référencées sous le mot de sculptures. Un grand miroir, giratoire. Un lieu de recherche. La recherche du self perdu.
Ici, dans le cas concret, dans cette exposition d'une exposition d'une exposition, il s'agit d'un autre type d'images auquel on se réfère avec le terme de photographie. Encore que s'y trouvent aussi, derrières le verre non amovible, des objets censés être regardés comme des sculptures. Puis, des mots sous forme de lettres imprimées ou peintes directement sur les murs, des murs au motif floral, censé, lui, rappeler une chambre d'hôtel d'une époque révolue mais très en vogue. Un hôtel, autre pratique culturelle encore, est un lieu où peuvent vivre ceux qui n'ont pas de chez soi, qui sont de passage, passage encore plus futile que toute l'existence, donc, des existences de passage, moyennant le paiement d'un droit d'entrée, comme aussi, d'ailleurs, il en est demandé pour ce musée.
On ne sait rien de ce « boucher urgent ». Peut-être s'agissait-il d'une pratique là du coup sacrificielle, le renvoi au lavabo pourrait en être un indice, on imagine le carnage sous l'eau courante, le bourreau accouru depuis les Halles.
Une prêtresse, laïque, elle, a agencé le tout, pour le bon plaisir de ceux conviés. On n'a pas de nouvelles d'un certain Oddo. Il serait parti avec le dernier train qui a quitté les lieux, départ dont personne, semble-t-il, n'a gardé de trace. Il ne reste que des histoires, et la croyance de... les croire.
Basilique de Saint-Denis. Modeste façade, somptueuses nefs. Les rois et reines sont au sommeil, accès impossible à la nécropole. J'ai lu que cette basilique profite du grand feu de Notre-Dame. Grâce aux dons, les caisses sont pleines. Une jolie somme est ré-attribuée et servira à reconstruire la tour nord de Saint-Denis, démantelée au XIX siècle après des endommagements d'une tempête...
Au-delà des riches vitraux, un établissement scolaire, dans le logis de l'ancienne abbaye royale : La Maison d'éducation de la Légion d'honneur, elle encore. Admission exclusive pour les filles, petites-filles et arrière-petites-filles de légionnaires...
Exceptionnelles, les stalles richement sculptées, du début du XVIème siècle, en chêne et d'autres essences.
Je pense à la tête coupée de Saint-Denis, et aux têtes coupées par la guillotine. Autant de cathédrales en herbe...
D'ailleurs, j'ai été étonné d'apprendre, l'avant-veille, à la visite du Cimetière de Picpus, que le nombre des guillotinés tout au long de la Terreur n'atteigne pas les 3.000. Sans jamais m'être posé la question, à lire ce chiffre j'ai réalisé que je l'avais imaginé bien plus élevé. J'apprendrai plus tard qu'il s'élève à plus de 17.000 pour toute la France !
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Promenade à pied dans le centre de Saint-Denis en pleine mutation (combien d'habitants vont être contraints de s'en aller quand les prix du foncier vont flamber encore plus ?), en passant par le monument aux morts des Dionysiens déportés, par le Musée d'Art et d'Histoire Paul Éluard (fils de la ville), puis, le long des autoroutes, par le Stade de France et le Square des Acrobates. Destination : Saint-Denis-Pleyel.
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Visite, enfin, de l'un des chantiers du Grand Paris express. Endroit stratégique, le cœur même du nouveau réseau, ici, près du Stade de France, ou le RER D va s'interconnecter avec les nouvelles lignes 15, 16 et 17, et où trouvera son nouveau terminus la ligne 14 prolongée.
Visite guidée, guide exquise. Avec enthousiasme et entrain, elle sculpte le projet par des gestes et des paroles. Nous montons à une plateforme faite de conteneurs superposés. Vue panoramique sur la Seine-Saint-Denis, sur la partie nord de Paris. Le projet du nouveau réseau de métro se comprend mieux depuis les airs. Les travaux de ce plus grand chantier d'infrastructure en Europe, ils se déclinent en quatre tâches exécutées simultanément : la construction de 200 km de voies, dont 90 % sous terre, en tunnels, de neuf mètres et demi de diamètre ; de 68 nouvelles gares, et puisque nous sommes en France : pas seulement pratiques, opérationnelles, mais aussi esthétiques ; de 250 puits d'aération et de 7 centres de maintenance où les rames Alstom pourront être entretenues.
Sur ce site-ci, l'articulation de l'espace public entre la Tour Pleyel et la nouvelle gare (architecte : Kengo Kuma & Associates) se fera grâce au FUP, le Franchissement Urbain Pleyel, un pont-plateforme (architecte : Marc Mimram) enjambant les 44 (!) voies de chemin de fer pour recoudre, en somme, les deux parties de Saint-Denis, et donc relier ce quartier de l'ouest à celui de l'est côté Stade de France et futur Centre Aquatique Olympique.
Le concept même de l'ingénierie et de l'architecture françaises déployées ici serait déjà en train de s'exporter, des clients du monde entier auraient manifestés leur intérêt... Pour un des chapitres de mes Cours particuliers, je suis certain d'avoir trouvé ici les inspirations nécessaires...
Les quelque 40 millards d'euros annoncés comme coût de l'investissement public ne me semblent pas suffire du tout, vue l'ampleur des travaux, et leur qualité. Mais la France, c'est ça aussi : s'engager pour voir grand, et réaliser grand, coûte que coûte. En fin de compte, il n'y aura pas de solde pour tout compte. Le projet pharaonique (si, si, il suffit de sortir un peu du Petit Paris pour s'en rendre... compte) va catapulter le Grand Paris, la France toute entière, dans le long terme, au 22ème siècle et au-delà. À condition que nous ne nous ayons pas, entretemps, catapultés dans le néant ...
Suite dans quelques jours à la Fabrique du métro, dans le docks de Saint-Ouen.
Journée de travail, resté enfermé, concentré. Sortie prévue pour le soir. Après quelques pas, au coin de la rue, sur le macadam : chute. Sur les mains et la poignée droite, sur les genoux. Plié, comme si les muscles avaient lâchés. Couché, ou presque. Moment d'étourdissement ? D'adaptation ? Perte de contrôle ? Sitôt que je tombe, deux personnes s'inquiètent, s'écrient si tout va bien. Oui, merci. Une jeune passante et un habitant de la rue, un des nombreux qui couchent dehors. Merci, si, tout va bien. Je me relève, me frotte, je teste les articulations. Tout semble aller bien. Je suis pressé. Dix minutes pour arriver au Théâtre de la Huchette. Enfin, je vais voir Ionesco, enfin La Cantatrice chauve, suivie de La Leçon. Ça fait trente-cinq ans, trente-six peut-être, qu'au lycée j'ai étudié ces deux pièces. Je ne les ai jamais relues depuis, jamais vues sur scène. Enfin, je me paie ce plaisir.
À entrer dans la salle, je suis surpris, surpris combien elle est petite, une cinquantaine de places au plus (je lirai plus tard : 90). Troisième (et quatrième) sortie au théâtre (sans compter, au Châtelet, le fiasco du Roman de Fauvel). Troisième (et quatrième) réussite. Je me tiens aux spectacles classiques. Je persiste et signe : mise en scène (ici de 1950, par Nicolas Bataille) et jeu des comédiens au service du texte. Il n'en faut pas plus. Joie d'entendre ces textes, de les entendre dits au millimètre près. 19.500ème représentation, ou presque.
L'absurde roi, la loi du non-sens sensé, le ridicule érigé en maître, traître qui en déroge. Je m'incline devant tant de clairvoyance, devant cet art de gifler en faisant rire ceux qui tendent leur joue. Je m'incline, mais cette fois-ci, je ne m'allonge pas par terre. Je m'incline, dignement, droit, debout.
À la sortie m'attend un Paris bleu, peint de la lumière de la pleine lune, et de l'humeur du printemps.
Lundi de Pâques = moutons.
Voilà une équation bien à propos pour voir enfin, dernier jour de l'exposition, « La Guerre des moutons », à l'Hôtel Soubise des Archives Nationales. Contraste incongru, car Paris ≠ moutons.
Ici, c'est un choix des fonds de la Bergerie nationale de Rambouillet. Une histoire, derrière la frimousse bien mignonne des bêtes, de guerre économique, d'espionnage, de recherches jalousement monnayées. Passionnante. La meilleure laine, elle provient des mérinos espagnols. Louis XVI, son ambition. Puis, son cousin Charles III, roi d'Espagne. Leur accord, leur marchandage. Les quelque 400 animaux concédés, parmi les plus nobles. Le voyage de ce troupeau, d'une poignée de bergers experts avec leur savoir, depuis la montagne au nord de Madrid jusqu'à Rambouillet, pendant des mois, en passant par les Pyrénées. De ce cheptel d'origine naîtra, au fur et à mesure, par un travail scientifique de sélection, la race mérinos de Rambouillet. Ça y est, la France est dans le coup du marché ovin. À l'internationale. On vise l'excellence, on l'atteint. Comme si souvent.
Accompagne l'exposition – qui montre, entre autres, des échantillons de laine, des correspondances, des livres de comptabilité, des appareillages, des gravures et photographies documentaires – un fascicule en FALC : facile à lire et à comprendre. J'adore. Malgré lui, il y a une poétique qui se dégage de ce texte :
« La Bergerie nationale de Rambouillet
est dans le parc du château de Rambouillet.
Le château de Rambouillet
est dans le département des Yvelines.
La Bergerie est un lieu historique important
dans le monde.
La naissance de la Bergerie est en 1786.
Les bâtiments sont beaux. »
(…)
Il est aussi question de domination britannique, aujourd'hui (les prix), d'Australie (la quantité).
On estime à 1,2 milliards le nombre global des moutons à présent.
Avec l'évocation de l'Australie me viennent à l'esprit : la Saxe, la ville de Leipzig. Tout cela se tient. Les moutons saxons, ennoblis par des mérinos, comptais jadis parmi les plus robustes, et les plus chers. Leipzig, première place du négoce de fourrures, et de par sa foire internationale, s'est vu devenir aussi une plaque tournante importante pour le négoce de laine. Puis, Albert Thaer, le père de l'agronomie moderne, éleveurs de moutons, son monument devant l'Université, et un autre Lipsien d'importance, lié aux moutons : le marchand Maximilian Speck von Sternburg, grand propriétaire de terres et de moutons... en Australie, et l'un des fondateurs du Musée des Beaux-Arts de Leipzig, l'un des donateurs ensuite, avec la collection de tableaux la plus précieuse en ville...
Tiens, la première fois depuis longtemps que je pense à Leipzig...
En sortant me frappe cette photographie d'un berger (?) de Rambouillet, élégant, portant chapeau et cravate, au milieu de deux béliers...
pour J_quarante-huit et suivants, merci de passer à la page suivante :